• Pendant la prise d'otages à l'église de Saint-Martin, un crime odieux se perpétue, lequel sera, avec ceux de Vassieux et de La Chapelle, versé au dossier des crimes de guerre devant le tribunal de Nuremberg. Ce 27 juillet 1944 vers 16 heures, quinze à vingt soldats allemands font irruption à l'entrée du porche de La Luire. Les blessés polonais de la Wehrmacht s'interposent pour dire qu'ils ont été bien traités. Mais les Allemands font se lever les blessés auxquels ils arrachent les pansements, les dépouillent de tout ce qu'ils possèdent, et font s'aligner médecins et infirmières face à la paroi.

    La Luire, crime de guerre

    La Luire, crime de guerre

     

    Comme à leur habitude, les Allemands constituent des groupes. Quatorze blessés sont amenés sur un terre-plein en contrebas de la grotte et exécutés. Trois Résistants tentant de fuir sont repris et abattus. Un second groupe de blessés capable de marcher est transféré à Grenoble. Le lendemain 28 juillet, deux groupes sont à nouveau formés. Une partie, dont les médecins, toutes les femmes et l'aumônier, est embarquée par camion pour Grenoble. Huit blessés sont conduits dans une prairie, obligés d'y creuser leur tombe et fusillés, cependant qu'un maquisard d'origine nord-africaine est pendu.

    Les survivants conduits à Grenoble seront internés à la Caserne de Bonne, où siège la Gestapo. Certains parviendront à s'échapper grâce à la complicité des Polonais qui avaient été soignés par les Résistants français. Le Docteur Ganimède, autorisé à se rendre aux toilettes, réussira à s'évader.

    Dans le nuit du 10 au 11 août 1944, au Polygone de Grenoble, les Docteurs Fischer et Ullmann sont fusillés, ainsi qu'Yves Moreau de Montcheuil, ce philosophe et théologien, l'un des pionniers des Cahiers du Témoignage chrétien.

    Les infirmières seront envoyées au camp de concentration de Ravensbrück, dont l'une ne reviendra pas.

     

    (Sources : mappy.com ; Le Vercors oublié : la résistance des habitants de Saint-Martin (1942-1945), Francis Ginsbourger)

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  • Comment une petite fille issue de l'Isère rurale est-elle arrivée au sommet de la hiérarchie artistique en devenant attachée au musée du jeu de Paume, à Paris ? Son parcours universitaire est digne d'éloges, mais il ne s'arrête pas là : durant la seconde guerre mondiale, elle va protéger et sauver d'innombrables œuvres d'art, grâce à un minutieux travail d'indexation. En les soustrayant à la spoliation hitlérienne, puis en les restituant aux personnes dépossédés.

     

    Rose Valland est née le 1er novembre 1898 dans le petit village isérois de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Elle est la fille unique de Rosa Marie Viardin et de François Paul Valland, dont le premier enfant, né quatre ans plus tôt, ne survécut pas. Son père, issu d'une famille de charrons d'une commune voisine, reprend à partir de son mariage, en 1894, la forge de son beau-père. Cette dernière, attenante à la maison natale de Rose, existe toujours.

    De Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs au musée du Jeu de Paume : Rose Valland

    De Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs au musée du Jeu de Paume : Rose Valland

    Parce qu'elle n'a pas voulu parler de son enfance, Rose Valland nous laisse peu d'informations suer ses jeunes années. De cette vie rurale difficile et exigeante se dessine toutefois un contexte familial particulièrement matriarcal : son père, comme la plupart des hommes de la famille, se tient en retrait, tandis que sa mère, une femme lettrée, protectrice et rigoureuse, pousse Rose à l'excellence scolaire en multipliant les démarches pour obtenir des bourses.

    Ses études la conduisent rapidement à quitter son village et, après l'école primaire de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, elle devient pensionnaire à l'école Sainte-Cécile de jeunes filles de La-Côte-Saint-André, à une quinzaine de kilomètres de là.

    Reçue première au concours des bourses de l'Isère, Rose intègre en 1914, et pour toute la durée de la guerre, l'Ecole Normale d'institutrices de Grenoble.

    (...)

    Pendant quatre ans, de 1918 à 1922, Rose Valland se forme à l'école des Beaux-Arts de Lyon grâce aux cours de modèle vivant, d'art décoratif et de peinture. C'est dans ce cadre qu'elle devient l'élève d'un des plus brillants historiens de l'art de son temps, Henri Focillon (1881-1943). Profondément novateur dans son analyse esthétique, l'enseignement qu'il dispense influencera durablement la perception artistique de Rose Valland. Elle sort diplômée de l'école après avoir obtenu pas moins de trois premiers prix ainsi que le prestigieux prix de la Société d'encouragement à l'art et à l'industrie. Ces résultats méritants lui ouvrent les portes de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris dès 1922, malgré un concours d'entrée réputé pour sa difficulté. Cette sévère sélection s'ajoute au farouche conservatisme de l'institution : l'unique atelier destiné aux femmes est complet, et le directeur refuse d'en ouvrir un deuxième, tandis que celui dédié à l'académie (dessin de nu masculin) leur est interdit.

    Malgré ces entraves, Rose termine son cursus trois ans plus tard en étant reçue sixième sur trois cents élèves au professorat pour l'enseignement des beaux-arts. Cette réussite éclatante est d'autant plus remarquable que, dès 1924, elle est inscrite parallèlement à l'école du Louvre (1922-1927).

    Rose se spécialise dans l'art des primitifs italiens en préparant une thèse intitulée Etude de l'Evolution du mouvement dans l'art jusqu'à Giotto, comparaisons iconographiques. Lors de la soutenance, le 10 janvier 1931, les jurés font preuve d'un certain dogmatisme. Parmi eux se trouve le directeur de l'Ecole, Henri Verne, dont la conception traditionnelle de l'histoire de l'art est en complète contradiction avec l'approche d'Henri Focillon, que Rose adopte dans sa thèse. En dépit des voyages qu'elle a effectués en Italie, la jeune femme est donc victime d'une querelle historiographique qui la dépasse.

    (...)

    La jeune historienne de l'art compte toutefois des soutiens influents dans le milieu universitaire, notamment l'archéologue Gabriel Millet, professeur au Collège de France, dont elle combine les travaux dirigés avec les cours d'archéologie chrétienne et byzantine de l'Ecole des Hautes Etudes (1925-1938).

    La liste déjà longue de ses titres et diplômes s'allonge ainsi de trois certificats d'études supérieures en archéologie grecque et médiévale ainsi qu'en art moderne. Ces connaissances seront à la base de son action de Résistante : elles lui permettront d'identifier les œuvres qui transiteront par le Jeu de Paume, puis celles retrouvées après la guerre. Ce parcours d'excellence s'accompagne de séjours linguistiques à l'étranger.

    En septembre 1931, dès son retour d'Angleterre, Rose sollicite un poste non rétribué à la conservation des musées nationaux du musée du Jeu de Paume : elle a alors 33 ans, ce qui est à son avis "trop tard pour une carrière brillante". En dépit de cette autocritique intransigeante, le parcours académique de Rose Valland est un exploit à plusieurs titres : pour une femme née avant la guerre de 1914 dans un milieu rural modeste, il est rare d'ambitionner un autre statut que celui de femme au foyer. En digne élève de l'école républicaine, cette "grande fille toute simple" est toutefois parvenue à se hisser au niveau de l'élite intellectuelle parisienne, majoritairement issue de la haute bourgeoisie et exclusivement dominée par les hommes.

    Gabriel Millet salue son ascension sociale et sa persévérance par ces mots : "Elle a tenu, au prix de grands sacrifices, à acquérir une culture historique et archéologique supérieure, comme en fait l'état de ses beaux titres. C'est un esprit distingué, ferme, ouvert et bien doué pour ses études".

    En tant que seule assistante d'André Dezarrois, conservateur et directeur du musée, Rose Valland assure des missions plurielles au Jeu de Paume, au premier rang desquelles l'organisation des expositions et la gestion des affaires administratives et logistiques. Les manifestations se succèdent à un rythme effréné et nécessite un personnel scientifique doué de réactivité. Rose s'y consacre avec d'autant plus de rigueur que chaque événement est l'occasion de nouvelles rencontres, notamment le Tout-Paris intellectuel et esthète, des ministres, des diplomates et des têtes couronnées d'Europe, mais surtout d'importants artistes de l'avant-garde parisienne comme Picasso, Braque, Friesz, Chagall, Zadkine ou encore Van Dongen.

    (...)

    Dès avant la guerre, Rose Valland jouit donc d'une réputation de spécialiste dans le milieu de l'art contemporain international, elle à qui sa formation d'artiste confère une compréhension plus intime de la création que ses collègues historiens d'art. (...) Quoique prestigieux, son emploi ne sera rémunéré qu'à partir de 1941, à la suite de démarches administratives qui rencontrent à nouveau l'opposition d'Henri Verne. Rose doit par conséquent trouver d'autres sources de revenus : elle devient alors enseignante et rédactrice pour la Revue de l'Art ancien et moderne, dirigée par André Dezarrois. Cette activité semble constituer une forme de rétribution à titre privé du conservateur à son attachée, peut-être pour la remercier des services bénévoles qu'elle rend au musée.

    Car Rose "aime sa tâche", comme le souligne Gabriel Millet, et donne beaucoup de son temps à l'institution. En effet, "elle est de celles sur qui on peut compter" et la responsabilité du Jeu de Paume lui est d'ailleurs confiée lors des absences du conservateur.

    Sept années s'écoulent ainsi jusqu'à ce que les prémices de la guerre imposent l'évacuation des collections des musées nationaux. "On est sur les dents avec ces événements internationaux ! Quelle vie ! Cet Hitler finit par être bien fatiguant", écrit-elle à sa cousine Marguerite. Le déménagement du tiers des 500 peintures que compte le musée du Jeu de Paume est entrepris une première fois en 1938, en même temps que celle du Louvre. L'entrée de l'armée hitlérienne en Autriche et dans les Sudètes fait alors craindre un conflit imminent et le déménagement est achevé à l'été 1939.

     

    (Sources : mappy.com ; Rose Valland : Une vie à l'œuvre - Ophélie Jouan)

     

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  • Marco Lipzyc est un résistant polonais. Avant d'arriver à Grenoble durant l'été 1938, il participe à la guerre d'Espagne au sein des Brigades Internationales. En août 1940, il obtient la croix de guerre, après de violents combats aux alentours de Soissons. En novembre 1943, il passe à la clandestinité et devient chef des FTPF (Francs-Tireurs et Partisans Français).

    Au sein des FTP, Marco Lipzyc participe à de nombreuses actions de sabotage : attaques de mairies pour y récupérer des tickets d'alimentation, désarmements de gendarmes ou de policiers pour s'approvisionner en armes - d'abord en présence d'Italiens, puis très vite face aux Allemands. (...) S'il travaille jusqu'à fin octobre chez Merlin Gerin, il devient totalement clandestin à partir de novembre 1943. En effet, à la fin de l'été 1943, suite à l'armistice séparé signé en septembre par le gouvernement italien de Badoglio avec les alliés, les troupes italiennes évacuent Grenoble et le département de l'Isère. Elles sont remplacées par des militaires allemands, ce qui amène une situation nouvelle. Si les risques encourus augmentent, les actions, elles, ne faiblissent pas., bien au contraire : sabotages de plus en plus nombreux d'entreprises travaillant pour l'occupant, ou des voies de chemins de fer sur lesquelles circulent des trains acheminant du matériel en Allemagne, châtiment de collaborateurs, attaques de détachements allemands. Marco Lipszyc prend ainsi une place de plus en plus importante dans le combat clandestin. Changeant fréquemment de domicile, il vit avec différents faux papiers, tantôt au nom de Jean-Marie Picard, tantôt à celui de Jean Rolland, le nom de son beau-frère. Sous l'identité de Jean-Stanislas Fiegel (celle qu'il paraît avoir le plus utilisée), il dispose de toute une batterie de faux documents parfaitement réalisés : carte d'identité, certificat de travail, carte d'alimentation (dont il s'est de toute évidence servi), extrait de livret militaire et même certificat de naturalisation du père de Jean Fiegel qui fait de ses enfants des citoyens français !

    Il fait aussi preuve d'un grand sens des responsabilités : jamais il s'expose ni ne met en danger la vie de ses camarades, de ceux dont il a la responsabilité. A Jean Rolland, il disait : "Nos actions sont si soigneusement préparées que jamais je n'ai perdu un seul homme. Si quelqu'un doit être pris, c'est toujours le chef." Un jour, avec un petit groupe de combattants, il s'apprête à faire sauter un pylône alimentant en électricité des usines travaillant pour les Allemands. La charge de poudre n'explosant pas, Marco, au risque de sa vie, va récupérer les explosifs, et les emporte sous le nez des sentinelles allemandes. Quelques jours plus tard, ils sont replacés au pied du pylône qui, cette fois, saute.

    Le 11 novembre 1943, il participe avec un certain nombre des ses camarades à la manifestation grenobloise au monument des Diables Bleus, qui se termine tragiquement par l'arrestation et la déportation de près de 400 personnes, dont seulement une centaine rentreront en France à la fin de la guerre. Son expérience lui permet de repérer rapidement le piège dans lequel les troupes allemandes enferment les manifestants et de s'échapper en passant par le mur du parc de l'Exposition. Se retrouvant au soir de cette journée chez son ami Teszner, il lui déclare, confiant : "Tu sais, j'ai la baraka : je ne risque rien..."

    Comme l'écrit Le Travailleur alpin dans son numéro du 16 mai 1945,  "Chez les FTP, un tel homme devait devenir un chef". Il est d'abord responsable du groupe urbain des FTP intervenant sur la ville de Grenoble et, en février 1944, il devient, sous le nom de "commandant Lenoir", le commissaire aux opérations de région, c'est-à-dire le responsable des FPTF de l'Isère.

    (...) Malgré les consignes qui voudraient que les cadres ne mettent pas leur vie en danger, il semble que Marco continue à participer à des opérations pour rester en contact avec ses hommes. Son rôle est désormais de coordonner dans tout le département de l'Isère un certain nombre d'unités FTP, unités auxquelles on donnera, à partir d'avril 1944 le nom de "bataillons" et auxquels on attribuera des numéros.

     

    (A suivre...)

     

     

     

    (Source : Marco Lipszyc, étranger et notre frère pourtant - Claude Collin)

     

     

     

     

     

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  • Marco Lipszyc (suite)

    Une question se pose au sujet de Marco Lipszyc : pourquoi, malgré son origine et son parcours (juif d'origine polonaise, ancien des Brigades internationales), s'est-il retrouvé à a tête des FPTF de l'Isère plutôt que dans les rangs des FTP-MOI (Main d'Œuvre Immigrée) ? Il y a à cela plusieurs explications. Marco est en France depuis 1933. Il était à Grenoble depuis 1938-1939 et il revient dans cette ville immédiatement après sa démobilisation, pour s'y lier, d'une façon très étroite, à une famille française. Tout au long de ces années, il a côtoyé, fréquenté, voire milité aux côtés de communistes français. Il se sent très intégré à la société française, peut-être même à la vie politique locale. Dans une lettre de novembre 1941 destinée à sa sœur, il écrit : "Je vis entièrement parmi les Français je ne parle plus polonais."

    Marco, qui de vient le responsable des FTPF de l'Isère en janvier ou février 1944, confirme à ce poste les qualités dont il avait fait preuve précédemment. Voici le témoignage de Monique Rolland, agent de liaison de Marco Lipszyc de février à mai 1944, avec qui elle a récupéré du ravitaillement pour confectionner des colis à des prisonniers politiques. De fil en aiguille, on lui confia des messages à transmettre, puis des armes à récupérer, et finalement intégrée aux FTP aux agents de liaison. Elle termina la guerre avec le grade de lieutenant comme responsable de liaisons de l'état-major FFI de l'Isère.

    "Mon premier rendez-vous avec Lenoir eut lieu à Fontaine, en face d'un cinéma qui n'existe plus  et qui se trouve près du pont sur le Drac.

    Marco Lipszyc (suite)

     

    Marco Lipszyc (suite)

    Je crois me souvenir que je devais tenir un mouchoir dans une main et un tube de rouge à lèvres dans l'autre. J'avais déjà eu des rendez-vous avec des gens qui venaient des maquis et, en général, ils étaient plutôt mal habillés. Là, j'ai vu arriver un homme plutôt grand, élégant, bien habillé et je me suis dit : "Ca ne peut pas être lui". Il m'a posé la question : "Est-ce que le cinéma est permanent ?" C'était le mot de passe et j'ai répondu ce qu'il fallait. Je ne sais plus exactement quelle était la formule utilisée. C'était donc bien Lenoir, c'est-à-dire Marco Lipszyc. Nous avons marché côte à côte pendant une heure et il m'a expliqué ce que j'allais avoir à faire. Il m'a donné toutes sortes de conseils dont je peux dire qu'ils m'ont ultérieurement été d'une grande utilité, voire qu'ils m'ont sauvé la vie. Lenoir était vraiment un chef, quelqu'un qui a marqué ma vie comme celle de tous ceux qui l'ont connu et à qui il a laissé un souvenir extraordinaire. Il avait d'abord une grande expérience de la clandestinité. Il savait exactement ce qu'il fallait faire. Il était d'une très grande prudence. Je n'étais au courant que de ce que je devais savoir, moins on en sait, moins on a de choses à dire en cas d'arrestation et de torture. On ne peut pas dire des choses dont on ne sait pas. Pour moi, il était le commandant Lenoir. Je ne connaissais pas son nom véritable. Je ne savais même pas qu'il était polonais, encore moins qu'il était juif. Je crois que je savais quand même qu'il était marié parce que, un jour où il avait un peu le cafard, il m'a dit qu'il avait une petite fille qui était mignonne et qui jouait du piano avec un doigt. Assez souvent, il disparaissait durant deux jours en me disant qu'il allait en mission. En fait, j'ai su plus tard qu'il allait à Mens retrouver sa femme et sa fille. J'aurais d'ailleurs dû m'en douter, puisqu'il revenait presque toujours avec un gâteau de riz au chocolat que nous partagions. (...)

    Marco Lipszyc (suite)

    Il connaissait parfaitement tout ce qui se passait. Il décidait des actions à mener, et moi, j'allais généralement à bicyclette, de maquis en maquis pour transmettre ses ordres de mission et pour récupérer les comptes rendus d'action que les responsables de groupes me remettaient. Quand il m'envoyait quelque part, il ne m'y envoyait pas pour rien : il connaissait exactement la situation et savait ce qu'il y avait à faire.

    Grenoble dépendait de l'état-major interrégional des FTP de Lyon et nous y allions régulièrement en train. Nous voyagions comme si nous étions en couple. C'était une façon de passer plus ou moins inaperçus. Un homme seul de l'âge de Lenoir aurait été infiniment plus suspect. Nous voyagions en première classe pour apparaître encore plus respectables. Une amie qui travaillait dans un magasin de confection me fournissait en habits les plus convenables possibles. Lenoir, lui, était toujours très élégant. A Lyon, nous rencontrions un responsable interrégional avec lequel Lenoir s'isolait et s'entretenait, alors que moi, j'allais faire un tour avec l'agent de liaison du Lyonnais (comme je l'ai dit, en couple, on se faisait toujours moins remarquer). Je me souviens aussi, qu'un jour, avenue Alsace-Lorraine, nous avons joué les amoureux, Lenoir et moi, appuyés contre un arbre, pour surveiller les allées et venues d'un personnage qui, à mon avis, devait être éliminé. Je ne saurais absolument pas dire ce qui s'est passé à la suite de ce repérage, car je n'ai pas été mise au courant. (...) Je pourrais multiplier les souvenirs concernant Lenoir. Ce qui est certain, c'est que c'était vraiment quelqu'un, c'était vraiment un chef, au meilleur sens du terme Il était au-dessus de tout le monde."

     

    (Sources : Mappy.com ; Marco Lipszyc : étranger et notre frère pourtant - Claude Collin)

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  • Albert de Seguin de Reyniès était le commandant du 6ème Bataillon de Chasseurs Alpins que le gouvernement français a contraint de dissoudre. Il prend ensuite la tête de l'Armée Secrète de l'Isère, jusqu'à sa capture le 6 mai 1944, et sa  disparition dans des circonstances encore floues. Le Capitaine Ariane Pinauldt évoque ce moment crucial de la Résistance iséroise.

     

    Pour le chef de bataillon de Reyniès, comme pour d'autres, l'objectif est clair : il faut chasser l'occupant. Mais par quel moyen ? Fin 1942, les diverses options impliquent toutes de devenir un hors-la-loi : rejoindre Londres ou l'Afrique du Nord, ou s'investir sur le territoire et trouver un cadre adéquat, car se préparer à l'affrontement signifie regrouper des hommes, donc trouver des moyens de subsistances et des armes. (...)

    Dès la défaite, différents mouvements s'étaient constitués, dans un climat cumulant motivations anti-allemandes et intentions politiques. Grâce à Jean Moulin, leurs composantes armées avaient commencé à s'entendre sous le vocable d'Armée Secrète (AS), placée sous l'égide du général de Gaulle et commandée par le général Delestraint.

    D'autre part, la dissolution de 1942 provoque l'apparition de l'organisation métropolitaine de l'armée, future Organisation de Résistance de l'Armée (ORA), constituée par les militaires qui, refusant de voir disparaître l'armée nationale, s'emploient à en conserver la structure. (...)

    Dans un premier temps, Albert de Reyniès cherche à maintenir la cohésion de son bataillon, manipulant les contacts avec les cadres, tenant à jour la liste des démobilisés. En parallèle, il occupe un emploi à Saint-Laurent-du-Pont, dans l'administration des Eaux et Forêts, grâce à un ancien subordonné : M. Gilles.

    En mars 1943, il reçoit une affectation au centre démobilisateur de Pont-de-Claix, ce qui lui permet de conserver  un appartement au centre de Grenoble. (...)

    Au printemps 1943, la mise en place du Service du Travail Obligatoire (STO) pousse un nombre croissant de réfractaires vers la clandestinité. Des réseaux d'aide se constituent ; à Grenoble, l'un des pivots est le vicaire de la cathédrale, Henri Grouès, dit l'abbé Pierre. L'enjeu est de permettre à ces jeunes de se cacher et de survivre. Certains rejoignent des maquis anciens qui s'étaient constitués dans un contexte idéologique, en opposition avec la politique menée par le régime de Vichy. D'autres se regroupent avec pour principale motivation le refus du départ en Allemagne. Ces derniers, réunis aux alentours de Pommiers (sur la route de Voreppe), au col de la Placette, surnomment la grange où ils sont provisoirement installés "Marquis Palace". Mais la vie cachée ne peut être une fin en soi, et il faut quelque argent pour subsister. Là encore, le réseau de l'abbé Pierre y pourvoit, grâce à deux personnages qui auront des rapports directs avec le commandant de Reyniès : Pierre Godart, "Raoul", et Zunio Waysman, "Gilbert". Le premier est accepté par le petit groupe pour leur apprendre les bases militaires qui leur manquent, et le second est chargé de la collecte et de la distribution des ressources financières.

    A la même période, l'activité souterraine d'Albert de Reyniès prend une plus grande ampleur : le général Laffargue lui confie la tête de l'organisation au sein du département. Il accepte cette lourde tâche avec gravité, mais sans manifester d'enthousiasme : ce poste l'éloignera du bataillon qu'il veut reconstituer et le conduira à multiplier les déplacements et les contacts, autant de risques de se faire repérer par les occupants. Les routes de l'abbé Pierre et du commandant de Reyniès se rejoignent alors autour de la question des jeunes réfractaires.

    (...)

    A l'été 1943, le Marquis Palace doit déménager, car l'emplacement en Chartreuse est trop exposé à l'ennemi. Ils s'installent à plus 1.500 mètres d'altitude sur le plateau de Sornin, au sommet des falaises dominant Sassenage. Ils arrivent ainsi dans le Vercors, massif que d'autres clandestins ont déjà choisi comme refuge. Cependant, ils ne sont pas assimilés aux autres Résistants, car Reyniès et l'ORA e partagent ni l'orientation politique des maquis de la mouvance Francs-Tireurs (connus pour leur coloration socialiste), ni le ralliement au général de Gaulle (assumé par l'Armée Secrète). Pour eux, ces débats n'ont simplement pas lieu d'être, seule la lutte armée les préoccupe, l'inclination politique étant du ressort de l'individu.

    La conception de la lutte est aussi distincte : là où les uns privilégient l'action immédiate et directe, sous forme de coups de main ou d'attentats, les autres préconisent une longue préparation, limitent les interventions au minimum nécessaire à la survie et s'emploient à créer les conditions permettant de mener un combat de plus grande ampleur quand le moment sera opportun.

    L'action de Reyniès, "Raoul", qui prendra ensuite le pseudonyme de "Roland"est rendue possible grâce aux subsides de l'ORA, peut-être à l'encontre des conceptions du général Laffargue. : celui-ci n'approuve pas le rapprochement avec les autres maquis qu'il considère comme des excités, et dont les agissements n'ont pour conséquence que de durcir l'attitude de l'occupant face aux populations civiles.

    (...)

    Dans le département de l'Isère, les massifs montagneux sont devenus des zones de refuge pour divers réfractaires : Belledonne, Oisans, Chartreuse. Le Vercors. lui, occupe une place à part dans ce paysage : des huit secteurs organisant le territoire, il est le seul à relever directement de l'état-major national, car le "Plan Montagnards" en fait une sorte de base avancée d'où les troupes allemandes pourront être prises à revers le jour où un débarquement aura lieu en Provence. Une exception cependant : dans le hameau de Malleval, jusqu'à une centaine d'hommes relèvent de Roland. Le noyau, issu du groupe réuni par l'abbé Pierre, est placé sous la direction de Raoul ; l'hiver approchant, ils s'étaient installés à une altitude plus clémente que le plateau de Sornin, dans un recoin de l'Ouest du Vercors, à la hauteur de Saint-Marcellin. Là, au fond des gorges du Nan, ils semblaient être dans une forteresse inaccessible. Le groupe étoffé devait être la base de la future renaissance du 6ème BCA, d'autant que leurs cadres provenaient pour certains de la prestigieuse unité.

    Roland a su trouver les collaborateurs nécessaires pour effectuer des liaisons dans tout le département. Il est entouré d'un chef d'état-major, le capitaine Lecoanet "Lecompte", surtout chargé des contacts avec les civils et les mouvements, et d'un adjoint "opérations", le capitaine de l'armée de l'air Hirschauer. Cependant, selon ce dernier, "chacun fait un peu toutes les tâches et beaucoup de kilomètres en liaison, en contacts, etc...". Pour les deux capitaines Hirschauer et Lecoanet, le contact avait été établi par le biais de camarades connus à l'école des cadres d'Uriage.

    (...)

    Dans cette petite équipe, les relations sont bonnes, l'ascendant naturel d'Albert de Reyniès convaincant sans peine les anciens militaires. Mais dans la société parallèle des réseaux clandestins, les conflits individuels ne sont pas rares. Ainsi, début janvier 1944 se cristallise à Malleval l'opposition entre Raoul et Gilbert. Ce dernier, pourvoyeur de fonds au début, est devenu une sorte de chef civil, et la cohabitation avec Raoul, chef militaire, ne fonctionne pas. (...) A plusieurs reprises, la mésentente est portée devant Roland qui assure toujours Raoul de son autorité, mais le 5 janvier, après un quasi coup d'état où Gilbert a empêché Raoul de rejoindre Malleval, tous deux sont écartés du Vercors et un nouveau chef est nommé : il s'agit du sous-lieutenant Eysseric, "Durand", ancien sous-officier du 6ème BCA.

    Le départ de Raoul provoque une scission car les anciens de Chartreuse n'admettent pas son éviction et partent à leur tour. Les troubles dans la direction du maquis n'est pas favorable à l'organisation du déplacement projeté. Pourtant, les craintes de Raoul étaient justifiées et le 29 janvier, les colonnes ennemies déferlent sur le refuge, traquant les insurgés dans les moindres recoins, allant jusqu'à fusiller des civils et incendier les bâtiments. Le maquis FTP voisin est aussi durement touché. Au bilan, une quarantaine de victimes, tués ou déportés, dont Durand, le nouveau chef. Six mois avant la grande offensive sur le massif du Vercors, l'armée nazie fait la démonstration de l'efficacité de ses méthodes et de son acharnement sur les populations suspectées d'aider les terroristes.

    Pour Reyniès, c'est un coup très dur : perte des hommes dont il avait la responsabilité et échec temporaire de la recréation du bataillon.

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