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Le Musée de la Résistance et de la Déportation de Grenoble organise une exposition consacrée à l'interdiction des bals populaires ayant eu lieu entre mai 1940 et avril 1945.
Selon le pouvoir pétainiste, les bals portaient atteinte aux bonnes mœurs et pervertissaient les Français. Cela n'empêchait pas la jeunesse de transgresser cette loi : des bals clandestins furent organisés, principalement dans le monde rural.
Ci-dessous, quelques photos de cette exposition :
Le précieux sésame : le jeton de danse
Pétain et sa vision de la jeunesse française
Une caisse claire avec ses balais et un pick-up
La gendarmerie était chargée de mettre fin à ces bals : soit en essayant de débusquer les sons de l'accordéon à l'intérieur des granges, soit en tenant compte de la rumeur et des lettres de dénonciation. Elle visait plus particulièrement les organisateurs et les musiciens.
Une fois le procès-verbal dressé, l'affaire était traitée par le tribunal de police : la condamnation maximale était de 200 Francs d'amende et trois jours d'emprisonnement. Les propriétaires de cafés et d'hôtels pouvaient faire l'objet d'une fermeture administrative. En cas de récidive, la peine pouvait être l'internement.
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J'effectue une légère entorse à ce blog, car une partie du Vercors est située dans la Drôme, le département voisin, et qu'il m'est difficile de ne pas l'évoquer quand on aborde la Résistance dans le département de l'Isère.
J'ai donc décidé de commencer une série d'articles consacrés à des événements s'étant déroulés dans ce massif, qu'ils aient eu lieu en Isère ou dans la Drôme.
Bonne lecture.
Le commandement de la Résistance du Vercors ignore que la Wehrmacht envisage depuis de longues semaines - probablement depuis le mois de mars - une attaque du Vercors.
Berlin en aurait donné l'ordre début mai, lequel aurait été reporté à une date ultérieure. Depuis Grenoble, le général Pflaum, ayant fait le constat de la puissance de la Résistance et d'une nécessité de renforts en hommes, aurait jugé nécessaire de différer l'attaque afin de mieux la préparer. Et ça n'est finalement que le 8 juin, le jour où la tristement célèbre division Das Reich entreprend le périple qui la mènera à Oradour-sur-Glane, que le haut-commandement Ouest pour le Sud de la France, adresse à ses unités l'ordre suivant :
" [...] mener des actions de grande ampleur contre les bandes opérant dans le Sud de la France, et le faire avec la plus extrême vigueur et sans ménagement. Les foyers d'agitation persistants doivent être définitivement éteints [...]. Dans ce genre d'opération, un demi-succès ne sert à rien. Il faut écraser les forces de résistance au moyen d'attaques rapides et enveloppantes. Pour le rétablissement de l'ordre et de la sécurité, les mesures les plus énergiques devront être prises afin d'effrayer les habitants de cette région infestée, à qui il faudra faire passer le goût d'accueillir les groupes de Résistance [...]. Cela servira en outre d'avertissement à toute la population [...]. En ce moment critique, il faut être d'une rigueur impitoyable."
Ce même 8 juin 1944, le président américain Eisenhower, à l'incitation pressante des autorités de la France libre, a demandé à l'Allemagne de traiter les résistants français comme des combattants bénéficiant du statut prévu par la convention de Genève. Il lui est répondu :
"Le commandement suprême de la Wehrmacht a décidé que les membres de la Résistance française doivent être traités comme des irréguliers. Les résistants et la population qui les soutient seront donc traités de la même façon : comme des Terrorbanden, des bandes de terroristes."
(...)
La première attaque allemande se produit au matin du 13 juin, à Saint-Nizier-du-Moucherotte. Paul Brisac (1), alias "Belmont" et Jean Prévost, alias "Goderville", rejoints par le commandant Huet (2) puis par la compagnie d'Abel Chabal, sont à la manœuvre.
La compagnie Brisac, c'était d'abord, écrira Paul Brisac, une quarantaine de "mergers" - employés de l'entreprise Merlin-Gerin -, le "noyau dur" auquel s'adjoindront, à l'extérieur de l'entreprise, les recrues d'André Paccalet, qui deviendra le second de Brisac. Le 9 juin 1944, ce dernier a reçu le message : "Ordre n° 1 - 8 juin minuit - Mobilisation immédiate de votre compagnie. Exécution de la mission prévue." Parvenu à Lans-en-Vercors, on l'avertit qu'il disposera au total d'environ 120 à 150 volontaires.
Les mergers sont "décidés mais disparates, pas entraînés et sans armes." Paccalet dispose quant à lui "d'hommes provenant en grande partie des groupes francs, c'est-à-dire déjà un peu militarisés et dotés d'un armement comportant FM et mitrailleuses." En revanche, les hommes de la section des chasseurs commandés par l'adjudant-chef Chabal sont des éléments d'active qui ont pris le maquis après la dissolution de l'armée : ceux-là sont bien entraînés et bien armés. Quelques armes parachutées arriveront, écrit Brisac, mais :
"Rien de bien splendide dans le lot d'armements reçus : mitrailleuses Sten en quantité, fusils américains, grenades et c'est tout. A part les mitraillettes, pas d'arme automatique. pour défendre la trouée de Saint-Nizier, point le plus vulnérable d'accès au plateau, c'est maigre."
Le mardi 13 juin au matin, alerte : "Les Allemands montent." Le premier assaut mobilise quelque 300 maquisards et fera 12 morts parmi eux. Deux jours plus tard, les Résistants seront 600 à attaquer, mais les Allemands trois fois plus. La Résistance parviendra à forcer les positions allemandes - au prix de 9 morts parmi les Résistants, d'autant de victimes civiles, et de nombreux blessés. les Allemands, qui comptent dans leur rang 13 morts et une trentaine de blessés, auront, en partant, pillé et incendié fermes et maisons de Saint-Nizier, en en détruisant 81 sur 93. A court terme et au plan tactique, la Résistance a vaillamment défendu ses positions. Mais au plan stratégique, les faits sont là : Villard-de-Lans et la plaine de Lans sont évacués le 15 juin et la Wehrmacht contrôlent désormais les accès depuis Grenoble.
Pourquoi l'assaut de Saint-Nizier, pourquoi à ce moment-là ? Probablement, disent généralement les historiens, pour apprécier la capacité militaire de la Résistance française afin de préparer une offensive décisive.
(A suivre...)
(1) : commandant d'une compagnie civile chargée de la défense de Saint-Nizier.
(2) : chef militaire du maquis du Vercors
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Le 21 juillet 1944, la Wehrmacht, sous l'autorité du général Karl Pflaum, lance l'opération Bettina. Plusieurs milliers d'hommes sont lancés à l'assaut du Vercors. Ce nombre est de l'ordre du total de la population du massif du Vercors additionnée de celle des maquisards. Décidée finalement le 8 juillet par le commandant allemand pour le Sud de la France, Bettina sera la plus importante opération menée par la Wehrmacht contre un maquis en Europe occidentale. Elle s'engage le lendemain de l'attentat raté contre Hitler (20 juillet), ce qui ne sera pas sans effet sur les comportements des troupes allemandes.
Alerté le 20 juillet, l'état-major du Vercors lance un appel à la population :
- Il est possible que le Vercors soit attaqué demain matin de bonne heure. C'est pourquoi l'autorité militaire a proclamé l'état de siège. Le commandant militaire du Vercors demande à la population d'observer partout le plus grand calme et d'obéir strictement aux instructions qui lui seront transmises par les maires. Les femmes et les enfants devront quitter le plus tôt possible les agglomérations et s'installer momentanément dans les fermes et les bois isolés où elles risqueront peu de choses de la part de l'aviation. La lutte entreprise est une lutte de la France contre l'Allemagne qui l'opprime depuis trop de mois, une lutte pour la liberté. Le commandant militaire du Vercors est sûr que la population, par son calme, son dévouement, et la dignité de son attitude fera honneur aux combattants qui sont décidés à mourir pour que la France vive.
VERCORS, le 20 juillet 1944
Le chef d'escadron HERVIEUX commandant le Vercors."
Au petit matin du 21 juillet, une vingtaine de planeurs et 210 parachutistes d'élite partis de Lyon-Bron et de Chabeuil atterrissent sur Vassieux. Quatre bataillons de Gebirgsjäger (1), deux bataillons de grenadiers, un corps d'artillerie et une escadrille de la Luftwaffe spécialisée dans la lutte contre les maquis, s'élancent depuis Grenoble, Crest et la vallée du Royans. Tous les accès au plateau sont immédiatement bloqués. Cette nuit-là, Chavant (2) envoie ce télégramme à Londres, qui fournira la base des polémiques futures sur la présumée "trahison" du Vercors :
"Moral de la population excellent, mais se retournera rapidement contre vous, si vous ne prenez pas de dispositions immédiates, et nous serons d'accord avec eux pour dire que ceux qui sont à Londres et à Alger n'ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des criminels et des lâches. Je répète : des criminels et des lâches."
Les contre-attaques lancées par les Résistants sont vives mais elles échouent, même si le mauvais temps, l'après-midi du 21 et le 22 juillet, ralentit l'invasion allemande du Vercors sud. Le 23 juillet, le beau temps revenu, Vassieux voit atterrir vingt planeurs supplémentaires chargés de légionnaires recrutés à l'Est [ceux que l'on surnommera les Mongols], ainsi que deux superplaneurs Gotha 242, qui amènent ravitaillement et artillerie.
Pourquoi Vassieux ? C'est là que, depuis de longues semaines, la Résistance, aidée par une mission alliée ainsi que par les habitants, s'acharnent à mettre au point des pistes d'atterrissage. C'est l'un des accès au massif du Vercors depuis le Diois. Il semble également que les Allemands aient pensé que Vassieux abritait le commandement suprême de la Résistance et des forces considérables. Pendant trois jours, les combats font rage. Résistants et habitants des hameaux sont indistinctement massacrés et torturés. De Vassieux, il ne restera que des décombres fumants. Errant dans les ruines dans les jours qui suivront l'assaut, l'abbé Gagnol découvrira les corps aux membres arrachés, les pendus, les décapités, des êtres humains découpés à la scie à bande, des habitants brûlés vif au lance-flammes après qu'on les ait repoussés dans leurs fermes incendiées, et la petite Arlette Blanc découverte après plusieurs jours passés sous les cadavres des siens, qui devait mourir peu de temps après avoir été trouvée. L'on mettra longtemps à décompter les quelque 180 morts, dont 73 Vassivains.
Le sort de l'hôpital du maquis se joue quelques heures après l'invasion de Vassieux, dans la nuit du 21 au 22 juillet. L'état-major donne l'ordre de replier l'hôpital du maquis sur Die. Deux camions et une voiture particulière embarquent 122 blessés, les malades et le personnel. Le convoi rejoint Die au petit matin.
Mais la mère supérieure de l'hôpital de Die signale l'arrivée imminente des Allemands. Devant ce danger, le docteur Ganimède décide de remonter sur le massif. Les blessés les moins atteints sont évacués. Les autres se rendent à Saint-Agnan, sous le porche d'entrée de la grotte de la Luire, une exsurgence dont le lit pierreux est souvent à sec.
Les jours suivants, après avoir fait partir un groupe de blessés qui peuvent se déplacer avec des béquilles, il ne restera que moins de la moitié du groupe initial : quarante-cinq blessés intransportables dont une trentaine de maquisards, parmi lesquels quatre soldats polonais portant l'uniforme de la Wehrmacht. Treize personnes constituent l'encadrement parmi lesquels trois médecins, sept infirmières et l'aumônier jésuite, Yves Moreau de Montcheuil. Un drap blanc à croix rouge est déployé à l'entrée du porche.
(A suivre...)
(1) : l'équivalent allemand des Chasseurs Alpins
(2) : Eugène Chavant, chef civil du Vercors
(Sources : mappy.com ; Le Vercors oublié : la résistance des habitants de Saint-Martin (1942-1945), Francis Ginsbourger)
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Pendant la prise d'otages à l'église de Saint-Martin, un crime odieux se perpétue, lequel sera, avec ceux de Vassieux et de La Chapelle, versé au dossier des crimes de guerre devant le tribunal de Nuremberg. Ce 27 juillet 1944 vers 16 heures, quinze à vingt soldats allemands font irruption à l'entrée du porche de La Luire. Les blessés polonais de la Wehrmacht s'interposent pour dire qu'ils ont été bien traités. Mais les Allemands font se lever les blessés auxquels ils arrachent les pansements, les dépouillent de tout ce qu'ils possèdent, et font s'aligner médecins et infirmières face à la paroi.
Comme à leur habitude, les Allemands constituent des groupes. Quatorze blessés sont amenés sur un terre-plein en contrebas de la grotte et exécutés. Trois Résistants tentant de fuir sont repris et abattus. Un second groupe de blessés capable de marcher est transféré à Grenoble. Le lendemain 28 juillet, deux groupes sont à nouveau formés. Une partie, dont les médecins, toutes les femmes et l'aumônier, est embarquée par camion pour Grenoble. Huit blessés sont conduits dans une prairie, obligés d'y creuser leur tombe et fusillés, cependant qu'un maquisard d'origine nord-africaine est pendu.
Les survivants conduits à Grenoble seront internés à la Caserne de Bonne, où siège la Gestapo. Certains parviendront à s'échapper grâce à la complicité des Polonais qui avaient été soignés par les Résistants français. Le Docteur Ganimède, autorisé à se rendre aux toilettes, réussira à s'évader.
Dans le nuit du 10 au 11 août 1944, au Polygone de Grenoble, les Docteurs Fischer et Ullmann sont fusillés, ainsi qu'Yves Moreau de Montcheuil, ce philosophe et théologien, l'un des pionniers des Cahiers du Témoignage chrétien.
Les infirmières seront envoyées au camp de concentration de Ravensbrück, dont l'une ne reviendra pas.
(Sources : mappy.com ; Le Vercors oublié : la résistance des habitants de Saint-Martin (1942-1945), Francis Ginsbourger)
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Comment une petite fille issue de l'Isère rurale est-elle arrivée au sommet de la hiérarchie artistique en devenant attachée au musée du jeu de Paume, à Paris ? Son parcours universitaire est digne d'éloges, mais il ne s'arrête pas là : durant la seconde guerre mondiale, elle va protéger et sauver d'innombrables œuvres d'art, grâce à un minutieux travail d'indexation. En les soustrayant à la spoliation hitlérienne, puis en les restituant aux personnes dépossédés.
Rose Valland est née le 1er novembre 1898 dans le petit village isérois de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Elle est la fille unique de Rosa Marie Viardin et de François Paul Valland, dont le premier enfant, né quatre ans plus tôt, ne survécut pas. Son père, issu d'une famille de charrons d'une commune voisine, reprend à partir de son mariage, en 1894, la forge de son beau-père. Cette dernière, attenante à la maison natale de Rose, existe toujours.
Parce qu'elle n'a pas voulu parler de son enfance, Rose Valland nous laisse peu d'informations suer ses jeunes années. De cette vie rurale difficile et exigeante se dessine toutefois un contexte familial particulièrement matriarcal : son père, comme la plupart des hommes de la famille, se tient en retrait, tandis que sa mère, une femme lettrée, protectrice et rigoureuse, pousse Rose à l'excellence scolaire en multipliant les démarches pour obtenir des bourses.
Ses études la conduisent rapidement à quitter son village et, après l'école primaire de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, elle devient pensionnaire à l'école Sainte-Cécile de jeunes filles de La-Côte-Saint-André, à une quinzaine de kilomètres de là.
Reçue première au concours des bourses de l'Isère, Rose intègre en 1914, et pour toute la durée de la guerre, l'Ecole Normale d'institutrices de Grenoble.
(...)
Pendant quatre ans, de 1918 à 1922, Rose Valland se forme à l'école des Beaux-Arts de Lyon grâce aux cours de modèle vivant, d'art décoratif et de peinture. C'est dans ce cadre qu'elle devient l'élève d'un des plus brillants historiens de l'art de son temps, Henri Focillon (1881-1943). Profondément novateur dans son analyse esthétique, l'enseignement qu'il dispense influencera durablement la perception artistique de Rose Valland. Elle sort diplômée de l'école après avoir obtenu pas moins de trois premiers prix ainsi que le prestigieux prix de la Société d'encouragement à l'art et à l'industrie. Ces résultats méritants lui ouvrent les portes de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris dès 1922, malgré un concours d'entrée réputé pour sa difficulté. Cette sévère sélection s'ajoute au farouche conservatisme de l'institution : l'unique atelier destiné aux femmes est complet, et le directeur refuse d'en ouvrir un deuxième, tandis que celui dédié à l'académie (dessin de nu masculin) leur est interdit.
Malgré ces entraves, Rose termine son cursus trois ans plus tard en étant reçue sixième sur trois cents élèves au professorat pour l'enseignement des beaux-arts. Cette réussite éclatante est d'autant plus remarquable que, dès 1924, elle est inscrite parallèlement à l'école du Louvre (1922-1927).
Rose se spécialise dans l'art des primitifs italiens en préparant une thèse intitulée Etude de l'Evolution du mouvement dans l'art jusqu'à Giotto, comparaisons iconographiques. Lors de la soutenance, le 10 janvier 1931, les jurés font preuve d'un certain dogmatisme. Parmi eux se trouve le directeur de l'Ecole, Henri Verne, dont la conception traditionnelle de l'histoire de l'art est en complète contradiction avec l'approche d'Henri Focillon, que Rose adopte dans sa thèse. En dépit des voyages qu'elle a effectués en Italie, la jeune femme est donc victime d'une querelle historiographique qui la dépasse.
(...)
La jeune historienne de l'art compte toutefois des soutiens influents dans le milieu universitaire, notamment l'archéologue Gabriel Millet, professeur au Collège de France, dont elle combine les travaux dirigés avec les cours d'archéologie chrétienne et byzantine de l'Ecole des Hautes Etudes (1925-1938).
La liste déjà longue de ses titres et diplômes s'allonge ainsi de trois certificats d'études supérieures en archéologie grecque et médiévale ainsi qu'en art moderne. Ces connaissances seront à la base de son action de Résistante : elles lui permettront d'identifier les œuvres qui transiteront par le Jeu de Paume, puis celles retrouvées après la guerre. Ce parcours d'excellence s'accompagne de séjours linguistiques à l'étranger.
En septembre 1931, dès son retour d'Angleterre, Rose sollicite un poste non rétribué à la conservation des musées nationaux du musée du Jeu de Paume : elle a alors 33 ans, ce qui est à son avis "trop tard pour une carrière brillante". En dépit de cette autocritique intransigeante, le parcours académique de Rose Valland est un exploit à plusieurs titres : pour une femme née avant la guerre de 1914 dans un milieu rural modeste, il est rare d'ambitionner un autre statut que celui de femme au foyer. En digne élève de l'école républicaine, cette "grande fille toute simple" est toutefois parvenue à se hisser au niveau de l'élite intellectuelle parisienne, majoritairement issue de la haute bourgeoisie et exclusivement dominée par les hommes.
Gabriel Millet salue son ascension sociale et sa persévérance par ces mots : "Elle a tenu, au prix de grands sacrifices, à acquérir une culture historique et archéologique supérieure, comme en fait l'état de ses beaux titres. C'est un esprit distingué, ferme, ouvert et bien doué pour ses études".
En tant que seule assistante d'André Dezarrois, conservateur et directeur du musée, Rose Valland assure des missions plurielles au Jeu de Paume, au premier rang desquelles l'organisation des expositions et la gestion des affaires administratives et logistiques. Les manifestations se succèdent à un rythme effréné et nécessite un personnel scientifique doué de réactivité. Rose s'y consacre avec d'autant plus de rigueur que chaque événement est l'occasion de nouvelles rencontres, notamment le Tout-Paris intellectuel et esthète, des ministres, des diplomates et des têtes couronnées d'Europe, mais surtout d'importants artistes de l'avant-garde parisienne comme Picasso, Braque, Friesz, Chagall, Zadkine ou encore Van Dongen.
(...)
Dès avant la guerre, Rose Valland jouit donc d'une réputation de spécialiste dans le milieu de l'art contemporain international, elle à qui sa formation d'artiste confère une compréhension plus intime de la création que ses collègues historiens d'art. (...) Quoique prestigieux, son emploi ne sera rémunéré qu'à partir de 1941, à la suite de démarches administratives qui rencontrent à nouveau l'opposition d'Henri Verne. Rose doit par conséquent trouver d'autres sources de revenus : elle devient alors enseignante et rédactrice pour la Revue de l'Art ancien et moderne, dirigée par André Dezarrois. Cette activité semble constituer une forme de rétribution à titre privé du conservateur à son attachée, peut-être pour la remercier des services bénévoles qu'elle rend au musée.
Car Rose "aime sa tâche", comme le souligne Gabriel Millet, et donne beaucoup de son temps à l'institution. En effet, "elle est de celles sur qui on peut compter" et la responsabilité du Jeu de Paume lui est d'ailleurs confiée lors des absences du conservateur.
Sept années s'écoulent ainsi jusqu'à ce que les prémices de la guerre imposent l'évacuation des collections des musées nationaux. "On est sur les dents avec ces événements internationaux ! Quelle vie ! Cet Hitler finit par être bien fatiguant", écrit-elle à sa cousine Marguerite. Le déménagement du tiers des 500 peintures que compte le musée du Jeu de Paume est entrepris une première fois en 1938, en même temps que celle du Louvre. L'entrée de l'armée hitlérienne en Autriche et dans les Sudètes fait alors craindre un conflit imminent et le déménagement est achevé à l'été 1939.
(Sources : mappy.com ; Rose Valland : Une vie à l'œuvre - Ophélie Jouan)
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