-
(Témoignage de Robert Favier)
"Dans les premiers jours de mai 1944, arriva le moment où il fallut envisager d'allouer une certaine somme d'argent à chacun des membres de nos Groupes Francs qui, pour la plupart, ne possédaient plus aucun moyen d'existence. Le commandant Nal me dit qu'il avait fixé le montant de cette indemnité à 1.500 Francs par mois et par homme. Je lui répondis qu'en ce qui concernait les Groupes Francs de l'extérieur de Grenoble, j'étais parfaitement d'accord, mais que je voulais le double pour ceux de la ville et de l'agglomération grenobloise. Etonné, il me demanda la raison d'une telle exigence : je lui fis remarquer que, contrairement aux Groupes Francs opérant dans le département et qui, vivant en groupes, pouvaient effectuer des coups de main pour leur ravitaillement, et étaient pour la plupart du temps aidés par la population rurale, les hommes des groupes dont l'activité se déroulait à l'intérieur de l'agglomération, vivaient eux une toute autre existence.
En effet, ils ne devaient prendre aucune habitude, ne faire jamais aucune confidence à qui que ce soit, changer fréquemment de restaurant et de chambre, ainsi que de tenue vestimentaire, et même de vélo. Heureusement, il était possible de les munir de tickets d'alimentation en quantité suffisante.
En résumé, ils menaient une véritable vie d'animal traqué, jouant continuellement à cache-cache avec les Allemands et leurs complices : le moindre relâchement pouvait avoir de graves conséquences. Nal reconnut qu'il n'avait pas songé à tout cela, et qu'effectivement, il existait une formidable différence de situation entre ces divers groupes, et me donna son accord.
Il n'était pas question, bien sûr, pour les hommes des Groupes Francs ville, de tendres des embuscades aux Allemands. Il n'était pas question non plus de les abattre individuellement, ce qui déclencherait obligatoirement des représailles contre la population (au mieux, la déportation ; au pire l'exécution d'un nombre indéterminé de personnes).
C'est d'ailleurs à la suite d'un attentat perpétré contre deux soldats allemands, qui furent abattus en fin de matinée le 11 août 1944 cours Berriat, près de la rue Ampère que : d'une part l'occupant prit la décision d'exécuter 20 jeunes gens arrêtés précédemment au Vercors et d'autre part, de faire évacuer tous les immeubles situés entre le Drac et la voie ferrée (ce qui concernait environ 35.000 habitants), et de tout faire sauter.
Les missions des Groupes Francs ville s'accomplissaient à deux, rarement trois hommes, et quelquefois même un seul sauf, bien entendu, lors d'opérations consistant à s'emparer de ravitaillement destiné au maquis. Dans la plupart des cas, il s'agissait de capturer des camions de transport dont le départ et l'itinéraire m'étaient signalés (...).
(Sources : mappy.com ; Flashes sur la Résistance en Isère - Robert Favier)
votre commentaire -
La guerre proprement dite, Grenoble va la vivre à trois reprises avant l'armistice :
- La première fois, l'action se situe (...) en Norvège : aafin de couper l'approvisionnement en fer suédois de l'Allemagne, les alliés franco-britanniques organisent une expédition contre le port de Narvik par lequel s'exporte le minerai. Les Français décident de prélever 5.000 hommes sur l'Armée des Alpes pour constituer le corps expéditionnaire. Dans ce cadre, le colonel Béthouart, chargé de l'opération, fait appel à une troupe d'élite : le 6ème bataillon de chasseurs alpins, stationné à Grenoble. La bataille se déroule du 27 au 29 mai 1940 et se conclut par la prise de Narvik. Cette victoire militaire est incontestable : elle a coûté 250 morts et plus de 500 blessés, mais l'opération s'avère inutile car, entretemps, l'armée allemande a entamé le pilonnage de Dunkerque (...). Quand, le 10 juin, la Norvège capitule, les troupes de Béthouart ont déjà rembarqué,
- Le deuxième épisode est la conséquence de l'entrée en guerre de l'Italie le 11 juin 1940. Un front s'étend alors de Menton à la frontière suisse. Dans le département, l'hostilité à l'égard de la population italienne est manifeste ; des centaines de suspects sont arrêtés. Le sentiment que "la soeur latine" a trahi prédomine. Le front résiste bien malgré des batailles intenses en Haute-Maurienne et près de Briançon. Les troupes de Mussolini ne défileront pas à Grenoble,
- Le troisième moment héroïque se situe, lui, à seulement quelques kilomètres de la ville, sur le territoire même du département. L'effondrement des armées françaises ouvre toutes les voies du sud aux troupes allemandes. Celles-ci cherchent à occuper le plus de terrain possible avant un armistice annoncé dès le 17 juin par le maréchal Pétain, nouveau président du Conseil. Le 23 juin, alors que l'armistice est signé à Rethondes - mais il n'est pas encore effectif tant que celui avec l'Italie n'est pas conclu - une division de blindés allemands se présente sur la route de Lyon. Son objectif est la prise de Grenoble et la maîtrise des vallées du nord des Alpes afin d'accélérer le démembrement du front où les Italiens piétinent. Le 23 au matin, les troupes allemandes s'avancent vers le goulet de Voreppe, point de contact entre le Vercors et la Chartreuse. Le verrou est redoutable. Après deux assauts et un duel d'artillerie particulièrement intense, les Allemands se retirent dans la nuit du 25. Leurs pertes sont importantes. Pendant ce temps, l'armistice est entré en vigueur. Qu'importe, l'ennemi n'est pas passé, grâce aux succès des armes françaises, et Voreppe constitue certainement l'une des rares victoires de la campagne de 1940.
Quand s'achèvent les combats, Grenoble et l'Isère connaissent le soulagement commun à toute une population soucieuse de rentrer chez elle et du retour des 1.300.000 prisonniers, dont très exactement 11.852 pour l'Isère, selon Le Petit Dauphinois. L'autre soulagement est de savoir que la région ne sera pas occupée par une armée étrangère. En zone sud, elle est loin de la ligne de démarcation Surtout, l'Italien a vu ses prétentions très réduites. Certes, le Dauphiné, contrairement à la Corse, Nice et la Savoie, ne fait pas partie des prétentions du royaume d'Italie mais le risque existait à l'été 1940 de voir une ligne de démarcation courir le long du Rhône.
Enfin, l'épopée de Narvik, la résistance des Alpes et la bataille de Voreppe apportent une légitime fierté et un agréable sentiment d'impunité au milieu des décombres.
(Sources : Les six miliciens de Grenoble - Pascal Cauchy ; Mappy.com)
votre commentaire -
* 6 mars 1888 : naissance de Gaston Valois,
* 1911 : termine major du concours de l'internat de l'hôpital de Grenoble,
* 1913 : achève ses études de médecine,
* Juin 1915 : est cité à l'ordre de la 127ème Brigade,
* 17 décembre 1917 : se marie avec Alice Marguet
* 1918 : est présent lors des derniers combats dans la Somme,
* 1919 : est évacué pour cause d'asthme, alors qu'il soigne les blessés des dernières semaines de combat. Il commence sa carrière civile de médecin en ouvrant deux cabinets, à Fures et à Renage,
De 1919 à 1925, Gaston Valois est adjoint au maire de Tullins, puis maire de 1933 à 1940.
* 1934 : est rayé des cadres de l'armée de réserve,
* 1937 : est élu conseiller général de l'Isère,
* 1938 : est pensionné à 30 %.
Durant son mandat de maire, Gaston Valois a établi un encadrement médical pour les écoliers de Tullins : les écoliers malades étaient envoyés dans des colonies de vacances à la mer ou à la montagne). Il dote les écoles de sa commune de réfectoires chauffés. Il crée des bains-douches municipaux pour les adultes. Il dote l'hôpital d'un service de maternité et d'une salle d'opération. Il crée un comité de secours aux réfugiés espagnols, avant d'être démis de ses fonctions en novembre 1940, non sans avoir appelé ses concitoyens à creuser des tranchées à l'entrée de Tullins, envahie par les Allemands trois jours plus tard. Jusqu'au 11 juillet, il peut encore empêcher l'occupation de certains bâtiments réquisitionnés, avant que les Allemands ne se retirent de la zone Sud. Il refuse égalemet de donner aux Allemands une liste des membres du P.C de sa commune.
Sans mandat, après avoir intégré le mouvement résistant Combat, Gaston Valois va construire son réseau grâce à son important carnet d'adresses acquis dans le monde du sport et de la médecine : c'est grâce à son réseau que le premier maquis se constitua au Vert (un hameau de Tullins) durant l'été 1942, et que le premier parachutage (de médicaments) dans le Vercors put avoir lieu le 2 octobre 1942. Les réfractaires au STO furent accueillis dès le début de l'année 1943.
* Janvier 1943 : devient chef des MUR de l'Isère,
* Avril 1943 : est à l'origine du premier parachutage d'armes (au col de Parménie),
Conscient d'être recherché, il se planque au 5 rue de Palanka à Grenoble chez un ami médecin, il est arrêté le 27 novembre 1943 lors de la "Saint-Barthélémy grenobloise". Il tente une première fois de se suicider durant son transfert au siège de la Gestapo. Il est emprisonné avec Gustave Estadès (cf. Le suicide de Gaston Valois). Interrogé une première fois le 28 novembre de 20h30 à 5 heures du matin, il en ressort défiguré, mais n'a pas parlé. Il demande alors à Estadès de l'aider à se suicider, ce qu'il parvient à faire.
Son corps ne sera retrouvé que le 1er décembre 1945.
(Source : Gaston Valois : la République à en mourir - Gil Emprin)
votre commentaire -
Gustave Estadès était dans la même cellule de la Gestapo que Gaston Valois. Ce dernier ayant été reconduit dans sa cellule à demi-mort après une longue séance de torture, il va l'aider se suicider, afin qu'il ne parle pas.
" Dans la matinée du 28 novembre, j'appris le nom de la troisième personne : c'était le Docteur Valois. A 19h30, on appela le docteur pour l'interrogatoire (..). Vers 5 heures, la porte s'ouvrit et le docteur Valois entra, portant deux coussins d'un divan que les gens de la Gestapo, après l'avoir torturé, lui donnèrent pour qu'il soit moins au dur pour dormir. (...) "Regarde dans quel état ils m'ont mis". Ses jambes étaient enflées, ses fesses, son corps n'étaient qu'une plaie (...). "J'ai décidé d'en finir. Je ne me sens pas le courage d'affronter un autre interrogatoire comme celui que je viens de subir et j'ai peur de ne pouvoir résister". Il est 6 heures environ. "Je vais m'allonger ; je vais m'ouvrir les artères. Le docteur fit une première incision. Les chairs s'écartèrent. Rien. Pas assez profond. Une deuxième incision. Toujours rien. A la troisième, le sang gicla si fort que je ne pus me rejeter en arrière assez vite et son sang m'inonda de la tête aux pieds. Le sang coulait abondamment et sur le glacis de la cellule donnait l'impression d'un robinet ouvert. (...) Ce n'est que vers 7h30 que la porte s'ouvrit, que les gens de la Gestapo regardèrent et que l'on nous fit sortir pour nous emmener au 5ème étage. Le corps du docteur ne fut enveloppé par un camarade, Edmond Gallet d'Entraigues, que le mardi 30 novembre. Ensuite, la Gestapo l'emmena et nous ne sûmes plus rien.
Gustave Estadès, 29 novembre 1986.
(Source : Gaston Valois : La République à en mourir. Gil Emprin)
votre commentaire