• Alors que la Résistance locale commence à s'organiser, l'épisode de la "Saint-Barthélémy grenobloise" en décapite les têtes naissantes : dix responsables sont assassinés et, pour notre secteur, Frier est arrêté le 30 novembre, puis déporté.

    Ce contrecoup ne stoppe pas pour autant la motivation de ceux qui veulent agir contre les nazis. Une semaine après ces arrestations, la Résistance parachève un travail commencé une quinzaine de jours auparavant avec la complicité d'Aloyzi Kospicki, un Résistant polonais, elle fait exploser le 2 décembre 1943 la caserne de Bonne où sont entreposées les armes des Allemands, démontrant à l'occupant nouvellement arrivé que malgré ses exactions, les arrestations massives, la Résistance iséroise ne s'en laisse as compter. Suite à cet acte, l'opinion publique est stupéfiée : la Résistance n'est pas morte, elle est prête à rebondir.

    Le bras de fer entre les Grenoblois (qui sont 2.000 à défiler le 11 novembre 1943) et les Allemands (qui ont arrêté 600 hommes à l'occasion de cette manifestation et en ont déporté 375) se cristallise autour de ces actes de résistance et se poursuivra durant toute l'occupation.

    Si les responsables locaux de la Résistance sont sous le choc de la vague d'arrestations, cela n'empêche pas la tenue d'une réunion dont le nom de code est "Monaco" : dix responsables départementaux de tous bords se réunissent le 25 janvier 1944 à l'hôtel de la Poste de Méaudre pour mettre en place le Comité Départemental de la Libération Nationale et déjà désigner l'un de ses membres (Albert Reynier) comme futur préfet de l'Isère. Les FFI, qui ont pour vocation de fédérer tous les mouvements de Résistance, sont créés dans le département et Albert Séguin de Reyniès en est officiellement nommé chef départemental le 10 février 1944. Mais il tombe dans les mains de l'ennemi moins de trois mois après, et disparaît le 6 mai 1944. C'est Alain Le Ray, chef militaire du Vercors, qui le remplace jusqu'à la Libération.

    La Chartreuse et la Résistance, époque II : novembre 1943 - juin 1944

    La Chartreuse et la Résistance, époque II : novembre 1943 - juin 1944

    La Chartreuse et la Résistance, époque II : novembre 1943 - juin 1944

    Une Résistance bicéphale se dessine peu à peu. D'un côté, celle de l'ORA (Organisation de Résistance de l'Armée)-AS, constituée de militaires demandant du temps pour préparer les combats de la Libération lorsque sera donné le mot d'ordre de Londres. De l'autre, celle des partisans de l'action et de la guérilla, groupes francs, Francs-Tireurs et Partisans qui, au contraire, ont objectif l'action immédiate. Cette divergence dans les approches du combat ne peut qu'entraîner des tensions.

    (...)

    Sources : La Résistance en Chartreuse (Voiron, Voreppe, Rives, Saint-Laurent-du-Pont : 1940-1944) - Jean-Philippe Landru ; Mappy.com.

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  • Avant novembre 1943 : les initiateurs

    Durant la seconde moitié de l'année 1942, les mécanismes organisationnels de la résistance nationale commencent tout juste à se mettre en place. Au niveau local, même si une poignée d'hommes (Durand, Berfini, Frier et Weber) ont réussi à organiser différents mouvements locaux, la Résistance prend principalement la forme de réseaux indépendants qui, par relations interindividuelles, sportives ou professionnelles, s'organisent spontanément en petits groupes de personnes.

    Il semble à beaucoup d'entre eux presque normal de faire de la Résistance. Ces actions sont variées : inscrire des V ou des croix de Lorraine sur les murs, à côté des gammas de la milice à Voiron ; faire marcher la radio de Londres à Voreppe ; porter une chemise sur laquelle est inscrit : "Merde aux Boches !" ; coller des affiches ; distribuer clandestinement des journaux et des tracts ronéotypés ou imprimés en les passant sous le manteau dans les usines et quelquefois comme à Voiron, en les jetant à travers le balcon de la salle du cinéma central, etc...

    La Chartreuse et la Résistance, époque I : Georges Frier et Edgar Kopfler

    Dès août 1942, sous l'impulsion de Georges Frier, chirurgien-dentiste à Voiron, cette Résistance civile et les premiers mouvements de Résistance déjà évoqués tentent de se fédérer. Frier prend des contacts dans chaque sous-secteur, met en place des relais et monte l'organisation de la Résistance du secteur. Il est aussi en relation avec la Résistance de Grenoble.

    Cet homme de compromis, peu politisé et auquel on ne connait pas d'ennemis, est désigné officiellement comme responsable MUR (Mouvement Uni de la Résistance) au printemps 1943.

    Frier est aidé dans cette tâche par Edgar Kopfler (Seigle), responsable de l'AS (Armée Secrète), professeur de lettres juif d'origine roumaine. Il accueille dans sa maison de l'avenue Dausset à Voiron des juifs et des Résistants, en partie grâce à l'aide de ses voisins, la famille Chenot. C'est un Saint-Cyrien, ce qui explique sa responsabilité dans l'Armée Secrète. Il s'engage totalement dans la tâche qui consiste à préparer l'armée de libération mais n'a malheureusement pas de temps de faire tout le travail auquel il se destine, puisqu'il juge préférable de monter à Paris quelques temps après la "Saint-Barthélémy grenobloise", vers janvier 1944, pour se faire oublier.

    Sources : La Résistance en Charteuse (Voiron, Voreppe, Rives, Saint-Laurent-du-Pont, 1940-1944) - Jean-Philippe Landru ; Mappy.com.

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  •  

    Le 31 mars 1944, Michel Debré désigne Albert Reynier comme futur préfet de l'Isère. Mais avant cela, qui était-il ? Albert Reynier était instituteur en Tunisie, puis à Izeaux (Isère), puis directeur de l'école d'application à la Capuche (Grenoble). Il rejoint le mouvement résistant Combat en 1941. S'ensuit une ascension jusqu'à devenir chef de l'Armée Secrète en Isère.

    Albert Reynier était proche des idées des députés socialistes de l'Isère qui refusèrent de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, le 10 juillet 1940. Tout comme Séraphin Buisset, Léon Hussel et Léon Martin, il était un homme de gauche au profil typique de sa génération, il ne crut jamais aux sirènes communistes. (...) Son principe ? La République.

    Par ailleurs, Reynier était franc-maçon. Il appartenait à la loge Avenir, affiliée à la Grande Loge de France, à l'activisme politique mesuré et qui s'affirmait volontiers déiste. Son nom apparaît ainsi sur une liste des frères maçons grenoblois établie en 1932 par les Croix-de-Feu, le mouvement d'anciens combattants d'extrême-droite dirigé par le colonel de La Roque. (...) Il appartenait corps et âme à cette république des instituteurs. Pour son fils Paul, ce qui résumait le mieux sa vision du monde était "sa probité d'instit".

    Au sujet de la guerre (...), Albert Reynier n'avait pas cru au pacifisme qui, durant l'entre-deux-guerres, séduisit bon nombre de ses camarades anciens combattants. A presque cinquante ans, il accueille la déclaration de guerre avec sérénité. Officier de réserve, il est resté un soldat dévoué, énergique et courageux. Il retrouve intact ses réflexes de combattant et ses actions efficaces lui valent une deuxième Croix de guerre.

    Comme tous ou presque, il est surpris par la rapidité et l'ampleur de la défaite de 1940. (...) A partir de juin (demande d'armistice de Pétain le 17 ; signature à Rethondes le 22), la donne change. Au classique affrontement séculaire entre Français et Allemands, s'ajoute un inédit historique : la Collaboration avec l'ennemi. De ces jours funestes, le cheminement qui conduit Reynier à l'entrée en Résistance est balisé. Il passe par une première étape, celle de la dissidence. En l'occurrence, Reynier, comme la majorité des anciens combattants, conservait un réel respect pour le vainqueur de Verdun. Mais il pleura quand il entendit Pétain justifier l'armistice à la radio : définitive rupture morale. 

    Le décret-loi du 15 août 1940, exigeant que tout fonctionnaire prête serment de fidélité au nouveau régime, le place dans le viseur de Vichy. Une enquête est instruite à son sujet. Instituteur républicain, proche des socialistes, franc-maçon, la vie et l'œuvre de Reynier furent passées au crible de la scrupuleuse attention de son supérieur hiérarchique, l'inspecteur d'académie Pironon. Le zélé fonctionnaire vichyste, promu durant la guerre inspecteur général, loue les qualités d'un "homme de devoir, un Français de classe, un éducateur", protégeant ainsi (sans le vouloir ?) le futur "Vauban".

    Pendant que le régime attaque durement l'institution scolaire (Mme Reynier est mise d'office à la retraite), Albert Reynier en reste officiellement membre jusqu'en juillet 1944, alors même qu'il se cache à cette époque entre Theys et Prabert.

    L'entrée en Résistance d'Albert Reynier, dit "Vauban"

    L'entrée en Résistance d'Albert Reynier, dit "Vauban"

    C'est entouré de personnes qui lui ressemblent que Reynier débute sa mue. Début 1941, se groupent autour de lui des personnalités fortes. Presque tous sont des "pédagos" (selon l'expression de Véronique Filippi, qui a effectué un mémoire de maîtrise sur Albert Reynier) : Camille Fournier, instituteur démis de ses fonctions parce que franc-maçon. Henri Marion, ancien directeur de l'école de la rue Cornélie-Gémond (à Grenoble), qui fit valoir ses droits à la retraite en 1940, ou encore son ami Machau, instituteur à l'école Lesdiguières (à Grenoble). Beaucoup sont sous-officiers ou officiers de réserve. Reynier, qui est destinataire fin 1940 d'une proposition d'adhésion à la Légion Française des Combattants censée constituer autour de la personne du Maréchal un mouvement politique de masse groupant les anciens combattants, s'est empressé de ne pas donner suite, manifestant ainsi le mépris dans lequel il tient le nouveau régime.

    Si l'instituteur accompagne les classes dont il a la charge sur le parcours qu'emprunte le Maréchal Pétain le 19 mars 1941, lors de sa visite à la capitale des Alpes (comment faire autrement ?), c'est pour en revenir encore plus dépité. Il se sent trahi par le vainqueur de Verdun.

     (Sources : Albert Reynier : Préfet de la Résistance - Philippe Barrière ; Mappy.com.)

     

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  • "Le gouvernement de Vichy avait décrété que le 11 novembre 1943 ne serait pas chômé. Malgré cette mesure, les effectifs dans les entreprises et les usines de la région, particulièrement à Grenoble, étaient squelettiques ce jour-là. La population en ayant décidé autrement, car une manifestation était prévue en ville par les organisations de Résistance pour commémorer l'anniversaire du 11 novembre 1918.

    Des tracts et des affiches avaient été imprimés, invitant la population à se joindre à nous. Les affiches ne devaient être mises en place que le plus tard possible pour éviter qu'elles ne soient détruites prématurément. Relativement peu étaient collées le 10 au matin, mais de nombreux tracts avaient été déposés dans les boîtes aux lettres. Fort heureusement, beaucoup de personnes se contentèrent de ne pas se rendre au travail, restèrent chez elles, et par là marquèrent leur réprobation aux valets d'Hitler. Ce même jour, 10 novembre, nous apprîmes que les occupants préparaient une action contre les Résistants et les patriotes et que, comme d'habitude, leur intervention serait féroce.

    Prévenu de son côté, Nal me dépêcha un agent de liaison, "Christiane", pour me demander de diffuser le contre-ordre de participation par tous les moyens à ma disposition. Tout l'après-midi, et jusqu'au couvre-feu fixé à 20 heures, cette nouvelle fut colportée par toutes les filières possibles, avec prière de faire suivre, ainsi que l'interdiction de coller de nouvelles affiches ou de continuer à distribuer les tracts. Quelques Résistants ne purent être prévenus : la population, composée principalement de sympathisants non affiliés à un mouvement constitué, se rendit, trop nombreuse encore, à la manifestation. La place fut cernée : seules 2 à 300 personnes purent échapper à la tenaille.

    Les Allemands ne relâchèrent que très peu de gens. La suite fut dramatique : la déportation suivit en masse. Près de 300 des 400 déportés ne revinrent pas des camps de la mort.

    Malgré l'interdiction, des affiches furent encore collées dans la nuit du 10 au 11 novembre 1943, probablement par des inconscients ou par des groupuscules non informés ou, pire, mal intentionnés. Il est évident que dans cette tragique affaire, il nous fut matériellement impossible de faire imprimer de nouvelles affiches ou de nouveaux tracts et de les diffuser.

    Il faut également préciser que quelques uns des Résistants et des sympathisants prévenus par le bouche-à-oreille, interprétèrent ce contre-ordre comme une manœuvre montée par nos ennemis dans le but de saboter la manifestation prévue, et prirent la malencontreuse décision de s'y rendre."

    (Source : Flashes sur la Résistance en Isère - Robert Favier)

     

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  • Durant l'occupation de Grenoble par les Allemands, Louis Nal commandait les Groupes Francs. Robert Favier était son adjoint : il raconte comment lui et son groupe ont fait exploser le fort des Quatre-Seigneurs (sur la commune d'Herbeys).

    "Sans attendre la capitulation de leur pays, le 8 septembre 1943, les Italiens évacuèrent les différents ouvrages dont ils étaient censés assurer la garde, en particulier le fort des Quatre-Seigneurs (situé sur les contreforts du massif de Belledonne), où étaient murés d'importants stocks de munitions et d'explosifs. Les Allemands, probablement à court d'effectifs, ne prirent possession des lieux qu'à la mi-journée du 12 septembre 1943. Au cours de ce laps de temps, Louis Nal décida de récupérer un maximum de trésors emmurés, d'une part pour les soustraire aux Allemands, et surtout pour alimenter la résistance qui allait en avoir de plus en plus besoin.

    C'est le groupe Roux-Fouillet, dont le PC était situé à la ferme Armand au Mûrier (entre les communes de Gières et de Saint-Martin d'Hères), qui fut désigné et auquel s'adjoint Paul Vallier. (...) Il fallait faire vite, car nous savions qu'à la suite d'une dénonciation, les Allemands disposaient de l'inventaire exact du matériel camouflé dans l'ouvrage, et de ce fait risquaient de ne pas tarder à l'investir. Seuls restaient au fort un sous-officier et son épouse, mais ils durent tout abandonner sur place, et quitter la région : ils furent partiellement dédommagés par la suite.

    L'enlèvement dura 48 heures et nécessita pas mal de voyages à l'issue desquels un matériel considérable fut enlevé et réparti dans différentes caches. Le 12 septembre 1943 vers 11 heures, Paul Vallier monta au fort à vélomoteur et, la voie étant toujours libre, mit en place plusieurs "crayons" détonateurs. Le retard prévu pour le déclenchement était de deux heures.

    En redescendant vers le Mûrier où l'attend le Groupe Franc de Roux-Fouillet, il croise un car d'Allemands qui viennent occuper les lieux. A 13 heures, rien ne se passe. Ni à 14 heures, ni à 15 heures : l'inquiétude va grandissante. Enfin, vers 15h30, une formidable explosion fait tout vibrer à plusieurs kilomètres à la ronde. Le fort vient de sauter avec les Allemands, dont il ne reste rien.

    Nos ennemis procédèrent à une enquête très poussée à l'issue de laquelle ce sont les Italiens qui furent soupçonnés d'avoir miné le fort. Cette conclusion était parfaitement plausible, et elle évita ainsi de graves représailles contre la population locale.

    Schématiquement, ces crayons étaient composés d'une ampoule emplie d'acide qui, une fois libéré (en retirant une languette ou une goupille), venait ronger un fil métallique dont la rupture déclenchait l'explosion. C'était la section variable du fil qui avait conditionné le retard d'allumage : il était évident que cela ne pouvait être extrêmement précis. Vallier a également pu se tromper et prendre des engins de trois ou quatre heures de retard à la place de ceux de deux heures.

    Le Groupe franc Roux-Fouillet, composé de 15 hommes, fut malheureusement anéanti le 4 janvier 1944. Ce jour-là, 12 d'entre eux furent arrêtés, transférés à la Gestapo de Grenoble, puis déportés au camp de Mathausen. 7 seulement en revinrent, tous profondément marqués par les terribles épreuves endurées. Elie Roux-Fouillet décéda en déportation au camp de Mathausen, quelques jours seulement avant l'arrivée des Américains, qui eut lieu le 5 mai 1945.

     

    (Sources : Flashes sur la Résistance en Isère - Robert Favier (d'après les notes de Camille Armand) ; mappy.com)

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