• De Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs au musée du Jeu de Paume : Rose Valland

    Comment une petite fille issue de l'Isère rurale est-elle arrivée au sommet de la hiérarchie artistique en devenant attachée au musée du jeu de Paume, à Paris ? Son parcours universitaire est digne d'éloges, mais il ne s'arrête pas là : durant la seconde guerre mondiale, elle va protéger et sauver d'innombrables œuvres d'art, grâce à un minutieux travail d'indexation. En les soustrayant à la spoliation hitlérienne, puis en les restituant aux personnes dépossédés.

     

    Rose Valland est née le 1er novembre 1898 dans le petit village isérois de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Elle est la fille unique de Rosa Marie Viardin et de François Paul Valland, dont le premier enfant, né quatre ans plus tôt, ne survécut pas. Son père, issu d'une famille de charrons d'une commune voisine, reprend à partir de son mariage, en 1894, la forge de son beau-père. Cette dernière, attenante à la maison natale de Rose, existe toujours.

    De Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs au musée du Jeu de Paume : Rose Valland

    De Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs au musée du Jeu de Paume : Rose Valland

    Parce qu'elle n'a pas voulu parler de son enfance, Rose Valland nous laisse peu d'informations suer ses jeunes années. De cette vie rurale difficile et exigeante se dessine toutefois un contexte familial particulièrement matriarcal : son père, comme la plupart des hommes de la famille, se tient en retrait, tandis que sa mère, une femme lettrée, protectrice et rigoureuse, pousse Rose à l'excellence scolaire en multipliant les démarches pour obtenir des bourses.

    Ses études la conduisent rapidement à quitter son village et, après l'école primaire de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, elle devient pensionnaire à l'école Sainte-Cécile de jeunes filles de La-Côte-Saint-André, à une quinzaine de kilomètres de là.

    Reçue première au concours des bourses de l'Isère, Rose intègre en 1914, et pour toute la durée de la guerre, l'Ecole Normale d'institutrices de Grenoble.

    (...)

    Pendant quatre ans, de 1918 à 1922, Rose Valland se forme à l'école des Beaux-Arts de Lyon grâce aux cours de modèle vivant, d'art décoratif et de peinture. C'est dans ce cadre qu'elle devient l'élève d'un des plus brillants historiens de l'art de son temps, Henri Focillon (1881-1943). Profondément novateur dans son analyse esthétique, l'enseignement qu'il dispense influencera durablement la perception artistique de Rose Valland. Elle sort diplômée de l'école après avoir obtenu pas moins de trois premiers prix ainsi que le prestigieux prix de la Société d'encouragement à l'art et à l'industrie. Ces résultats méritants lui ouvrent les portes de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris dès 1922, malgré un concours d'entrée réputé pour sa difficulté. Cette sévère sélection s'ajoute au farouche conservatisme de l'institution : l'unique atelier destiné aux femmes est complet, et le directeur refuse d'en ouvrir un deuxième, tandis que celui dédié à l'académie (dessin de nu masculin) leur est interdit.

    Malgré ces entraves, Rose termine son cursus trois ans plus tard en étant reçue sixième sur trois cents élèves au professorat pour l'enseignement des beaux-arts. Cette réussite éclatante est d'autant plus remarquable que, dès 1924, elle est inscrite parallèlement à l'école du Louvre (1922-1927).

    Rose se spécialise dans l'art des primitifs italiens en préparant une thèse intitulée Etude de l'Evolution du mouvement dans l'art jusqu'à Giotto, comparaisons iconographiques. Lors de la soutenance, le 10 janvier 1931, les jurés font preuve d'un certain dogmatisme. Parmi eux se trouve le directeur de l'Ecole, Henri Verne, dont la conception traditionnelle de l'histoire de l'art est en complète contradiction avec l'approche d'Henri Focillon, que Rose adopte dans sa thèse. En dépit des voyages qu'elle a effectués en Italie, la jeune femme est donc victime d'une querelle historiographique qui la dépasse.

    (...)

    La jeune historienne de l'art compte toutefois des soutiens influents dans le milieu universitaire, notamment l'archéologue Gabriel Millet, professeur au Collège de France, dont elle combine les travaux dirigés avec les cours d'archéologie chrétienne et byzantine de l'Ecole des Hautes Etudes (1925-1938).

    La liste déjà longue de ses titres et diplômes s'allonge ainsi de trois certificats d'études supérieures en archéologie grecque et médiévale ainsi qu'en art moderne. Ces connaissances seront à la base de son action de Résistante : elles lui permettront d'identifier les œuvres qui transiteront par le Jeu de Paume, puis celles retrouvées après la guerre. Ce parcours d'excellence s'accompagne de séjours linguistiques à l'étranger.

    En septembre 1931, dès son retour d'Angleterre, Rose sollicite un poste non rétribué à la conservation des musées nationaux du musée du Jeu de Paume : elle a alors 33 ans, ce qui est à son avis "trop tard pour une carrière brillante". En dépit de cette autocritique intransigeante, le parcours académique de Rose Valland est un exploit à plusieurs titres : pour une femme née avant la guerre de 1914 dans un milieu rural modeste, il est rare d'ambitionner un autre statut que celui de femme au foyer. En digne élève de l'école républicaine, cette "grande fille toute simple" est toutefois parvenue à se hisser au niveau de l'élite intellectuelle parisienne, majoritairement issue de la haute bourgeoisie et exclusivement dominée par les hommes.

    Gabriel Millet salue son ascension sociale et sa persévérance par ces mots : "Elle a tenu, au prix de grands sacrifices, à acquérir une culture historique et archéologique supérieure, comme en fait l'état de ses beaux titres. C'est un esprit distingué, ferme, ouvert et bien doué pour ses études".

    En tant que seule assistante d'André Dezarrois, conservateur et directeur du musée, Rose Valland assure des missions plurielles au Jeu de Paume, au premier rang desquelles l'organisation des expositions et la gestion des affaires administratives et logistiques. Les manifestations se succèdent à un rythme effréné et nécessite un personnel scientifique doué de réactivité. Rose s'y consacre avec d'autant plus de rigueur que chaque événement est l'occasion de nouvelles rencontres, notamment le Tout-Paris intellectuel et esthète, des ministres, des diplomates et des têtes couronnées d'Europe, mais surtout d'importants artistes de l'avant-garde parisienne comme Picasso, Braque, Friesz, Chagall, Zadkine ou encore Van Dongen.

    (...)

    Dès avant la guerre, Rose Valland jouit donc d'une réputation de spécialiste dans le milieu de l'art contemporain international, elle à qui sa formation d'artiste confère une compréhension plus intime de la création que ses collègues historiens d'art. (...) Quoique prestigieux, son emploi ne sera rémunéré qu'à partir de 1941, à la suite de démarches administratives qui rencontrent à nouveau l'opposition d'Henri Verne. Rose doit par conséquent trouver d'autres sources de revenus : elle devient alors enseignante et rédactrice pour la Revue de l'Art ancien et moderne, dirigée par André Dezarrois. Cette activité semble constituer une forme de rétribution à titre privé du conservateur à son attachée, peut-être pour la remercier des services bénévoles qu'elle rend au musée.

    Car Rose "aime sa tâche", comme le souligne Gabriel Millet, et donne beaucoup de son temps à l'institution. En effet, "elle est de celles sur qui on peut compter" et la responsabilité du Jeu de Paume lui est d'ailleurs confiée lors des absences du conservateur.

    Sept années s'écoulent ainsi jusqu'à ce que les prémices de la guerre imposent l'évacuation des collections des musées nationaux. "On est sur les dents avec ces événements internationaux ! Quelle vie ! Cet Hitler finit par être bien fatiguant", écrit-elle à sa cousine Marguerite. Le déménagement du tiers des 500 peintures que compte le musée du Jeu de Paume est entrepris une première fois en 1938, en même temps que celle du Louvre. L'entrée de l'armée hitlérienne en Autriche et dans les Sudètes fait alors craindre un conflit imminent et le déménagement est achevé à l'été 1939.

     

    (Sources : mappy.com ; Rose Valland : Une vie à l'œuvre - Ophélie Jouan)

     

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