• A force de n'en rien dire, la mémoire collective va finir par oublier quelle fut l'importance du rôle des femmes pendant les années noires. Et pourtant. De quels prodiges furent capables ces mères, ces amantes, ces soeurs. Pour trouver à nourrir les leurs en dépit de la pénurie, envoyer lettres et colis aux pères, maris ou frères prisonniers, tenter de pallier leur absence, élever seule leurs enfants, cacher des personnes en fuite, obtenir ou comuniquer des renseignements, aider, consoler, soigner, combattre et savoir affronter le pire avec un formidable courage : tout cela fut le lot d'un grand nombre d'entre elles. Le refus du nazisme comme de la politique du maréchal, qui n'accordait de considéraion qu'aux mères de famille au foyer, a conduit nombre de femmes à changer soudainement de vie, à s'engager, à se mettre en danger et gagner parfois une autonomie nouvelle.

    Simone Bénielli veut aider à Grenoble celles et ceux qui, rongés par l'inquiétude, ne savent plus rien des leurs, sauf qu'ils sont dans un camp, en Allemagne ou en Pologne. Elle met à profit son réseau pour dresser des listes dont la précision continue d'étonner aujourd'hui. Lucienne Gosse seconde son époux, le doyen révoqué par Vichy de l'Université de Grenoble (...). Marie Reynoard, professeur de lettres au lycée Stendhal, amis d'Henri Frénay, prend la tête de la section locale de Combat depuis son petit appartement de la rue Fourier. Mais elle est arrêtée et mourra à Ravensbrück dans d'atroces circonstances. Marguerite Gonnet, épouse du président du syndicat d'initiative et mère de neuf enfants, diffuse la presse clandestine avant de devenir responsable de la section de Libération Sud (Cf. Focus sur : Marguerite Gonnet). L'intrépide Marie Della Vecchia (...) l'y rejoint, un temps, puis rallie Combat. Lucette Blanc-Fatin travaille pour le réseau de renseignements Corvette quand la Gestapo l'arrête et la fait déporter à Ravensbrück d'où elle reviendra. Suzanne Buisson, elle, succombera, gazée, à Auschwitz, après avoir fait preuve, dans le cadre du Parti socialiste clandestin, d'une audace peu commune.

    Le rôle des femmes durant la Résistance

    Gabrielle Giffard (Ariel) réussit à intégrer un groupe franc (...), puis rejoint le maquis de l'Oisans. Mireille Maltherre, agent de liaison dans l'Armée secrète, est arrêtée et déportée mais réussira à revenir. Monique Rolland devient responsable des agents de liaison des Francs-Tireurs et Partisans dans l'Isère. Anne-Marie Mingat, agent de liaison elle aussi, se dépense sans compter pourfournir des faux papiers, recueille chez elle une jeune fille juive et deviendra une Juste. Nombreuses d'ailleurs seront les femmes, telles l'héroïque patronne du café de l'avenue Alsace-Lorraine (Le comptoir lyonnais), Louise Collomb, la pharmacienne du cours Jean Jaurès, Izaure Luzet, ou les religieuses de Notre-Dame de Sion qui surent tendre la main aux Juifs au mépris total des risques qu'elles encourraient.

    Il faut aussi évoquer Lylianne Jouhandet, sillonnant les rues sur son vélo, de Grenoble à Meylan, chargée de messages ou de tracts pour l'Armée secrète ou les Francs-Tireus et Partisans, ou Bernadette Regard, qui diffuse Témoignage chrétien, alors clandestin. On ne saurait oublier ces infirmières dévouées telle Marie Picardel, qui intègre l'Armée secrète à partir du sanatorium de Saint-Hilaire-du-Touvet, ou Monique Tissot qui rejoint le maquis de l'Oisans. (...) Nous devrons nous souvenir de Marianne Cohn qui, faisant passer des enfants en Suisse pouer l'OSE, est arrêtée à Annemasse par la Gestapo et sauvagement tuée. Qui se souvient que ses restes reposent, anonymes dans une fosse commune du cimetière de La Tronche ? Il faudrait aussi citer le nom des femmes combattantes du bataillon "Liberté" de Francs-Tireurs et Partisans, main d'oeuvre immigrée, telle Ginette Vincent qui meurt à Ravensbrück ou Nelly Villevieille qui vit toujours. (...) Une fois la paix retrouvée, les femmes sont retournées à leur vie de femme ou de famille, à leurs études, leurs enfants, leur métier, sans prendre le temps ni la peine de défendre ou de revendiquer quoi que ce fût du rôle qu'elles avaient joué. Et les quelques hommes qui surent le dire, car il y en a eut, étaient loin de former une majorité. (...) Il serait temps, tandis que plus d'une centaine de ces femmes sont toujours de ce monde, dans la région grenobloise, qu'une vraie, large et pleine reconnaissance ait lieu. Une injustice serait alors réparée.

     

    Texte de Jean-Claude Duclos, Conservateur du Musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère (Source : Flânerie civique dans le Grenoble républicain : Ligue des Droits de l'Homme, section de Grenoble. - Presses Universitaires de Grenoble).

    Yahoo!

    5 commentaires
  •  

    ...Un officier alpin au service de la France (1939-1945) - Lieutenant-Colonel Jean-Pierre Martin.

    Extrait du livre "Alain Le Ray : le Devoir de Fidélité"...

    De Gaulle dans les Alpes : l'adoubement de la division FFI

    Début novembre 1944, le général de Gaulle se rend sur le front des Alpes. Plusieurs étapes jalonnent ce parcours : Annecy, le cimetière de Morette, Thônes, Albertville, Chambéry et Grenoble. Pour le chef du Gouvernement provisoire de la République française, ce voyage revêt un double objectif : rendre hommage aux combattants des maquis alpins qui, aux Glières comme au Vercors, écrivirent en lettres de sang des pages parmi les plus emblématiques de la Libération ; préparer le front des Alpes à des opérations visant à accroître éventuellement notre territoire des districts francophones transalpins. Ainsi verra-t-on le chef de la France libre prodiguer ses encouragements au Comité Départemental de la libération de la Savoie et recevoir une délégation valdôtaine, en l'assurant de l'intérêt que portait le gouvernement français à cette région. Les termes de son discours prononcé le 5 novembre au PC de la 1ère DAFFI* , à Challes-les-Eaux, laissent entrevoir, par leurs sous-entendus, l'objectif qu'il entend fixer à cette force : "Que sera la destination exacte et la composition de la grande unité que formera la Division ? Je n'en suis pas certain, mais presque : une vraie Division alpine...De toute façon, la guerre n'est pas finie, si par hasard vous êtes portés à le penser, je vous rappelle que je ne crois pas que l'ennemi se couche avant de s'être battu très longuement et très durement...l'Armée française aura le temps et l'occasion de se promener, ce dont je vous réponds."

    (...)

    Le soir de cette inspection, de Gaulle se rend à Grenoble pour lui remettre la Croix de la Libération ; le lendemain, il passe en revue la nouvelle armée française alignée avenue Foch et Place de l'Exposition. On y trouve des éléments de la 4ème Division marocaine de montagne du général Sevez, responsable du secteur français des Alpes, et, rassemblée au complet, la 3ème Demi-Brigade de l'Isère, sous les ordres du commandant Le Ray.

    (...)

    Dans les salons de la Préfecture de l'Isère, Le Ray aura l'insigne honneur d'être présenté au chef de la France libre. C'est Yves Farge, Commissaire de la République à Lyon, qui introduit le jeune officier :

    "Le commandant Le Ray a beaucoup de choses à vous dire, mon général !" dit-il avant de s'éclipser.

    "Alors, Le Ray, qu'avez-vous à me dire ?"

    Le général fait asseoir son visiteur à côté de lui. Le visage du grand homme est blême, empreint d'une profonde lassitude.

    Le jeune officier, qui vient de recevoir la Croix de la Légion d'honneur, impressionné par cette froideur, hésite, ne sachant pas ce qu'il y a de plus utile à dire. Il parlera, sans le secours d'une seule question, de sa troupe qui vient de défiler et dont il est fier, et de la nature des derniers combats en coopération ou non avec les Américains, abordant avec précaution le délicat sujet du Vercors.

    Visiblement cela suffit.

    "Je vous remercie. Au revoir, Le Ray."

    D'abord désarçonné par ce tête-à-tête glacial, celui-ci a peu à peu mesuré l'immense fatigue accumulée sur les épaules du chef de la France libre depuis tant de mois et d'années. De toute façon, ce sera pour lui un grand souvenir. Puis il est reparti vers les tâches qu'appelait le départ du surlendemain pour la Maurienne.

     

     

    Yahoo!

    votre commentaire
  • ...Un officier alpin au service de la France (1939-1945) - Lieutenant-Colonel Jean-Pierre Martin. 

    Extrait du livre "Alain Le Ray : le Devoir de Fidélité"...

     

    La tenaille se referme sur Grenoble

    "Depuis le 15 août, la situation du commandement de la 157ème Division, à Grenoble et dans toute la zone de sa responsabilité, est tout à fait critique. La XIXè Armée a exigé qu'il tienne la capitale des Alpes jusqu'au 30 août ; et, avec "Hochsommer"*, il a engagé une précieuse réserve opérationnelle. D'autre part, le maréchal Kesselring, qui commande le front d'Italie, exige sa présence au plus tôt sur la crête frontière, en couverture de son flan ouest.

    Aux abords du 19 août, Pflaum apprend avec consternation la remontée foudroyante de l'avant-garde de la VIIè Armée par la Durance. Il décide en catastrohe le repli général de ses unités. Mais encore faut-il éviter le piège redoutable qui se prépare entre les forces des maquis de l'Isère, à l'affût sur tous les itinéraires de fuite vers Lyon, la Savoie, ainsi que vers les cols frontières, et les colonnes américaines annoncées sous les cols Bayard et la Croix-Haute.

    (...)

    Pflaum, quant à lui, malgré un renfort d'un groupement de la 90è Panzergrenadier Division, sait fort bien ce qui l'attend s'il demeure à Grenoble avec des forces réduites. Les miliciens de l'hôtel d'Angleterre et les hommes du PPF qui s'accrochent à lui ne constituent qu'un danger de plus. Il sait qu'il est guetté dès les abords de la ville. Aussi se résout-il à une évacuation éclair dans la nuit du 21 au 22 août.

    (...)

    Au milieu de la nuit, deux formidables explosions ébranlent la cité. Les ponts sur le Drac ont sauté. Le silence revenu, les prisonniers n'entendent plus rien. Ils fracturent les portes : leurs gardiens ont disparu.

    Pflaum a réussi le tour de force d'évacuer Grenoble en trois heures, en pleine obscurité. (...) Il a aussi chosi d'abandonner les deux tiers de ses hommes et de s'enfuir par la Maurienne avec les blindés de la 90è PZD qui ravageront cette vaste vallée.

    (...)

    La nuit du 21 au 22 août fut, dans la ville de Grenoble, un épisode confus qui a donné naissance à de vaines controverses inspirées par l'instinct de compétition. Ce qui est certain, c'est que les groupes francs de Nal avaient reçu l'ordre de pénétrer dans Grenoble en fin de nuit et qu'ils l'exécutèrent. Il est également vrai que les secteurs limitrophes de Grenoble - le S2 de Chartreuse et le S6 du Grésivaudan - dépêchèrent des patrouilles dans la ville dès qu'ils eurent vent du début de l'évacuation allemande.

    Le 22 août au lever du soleil, les bâtiments officiels étaient occupés par les autorités civiles et militaires de la Résistance. A ce moment-là, aucun Américain n'était encore en vue dans la ville, ni dans sa banlieue, à l'exception d'un audacieux journaliste du Chicago Sun, M. Edd Johnson, revêtu, comme correspondant de guerre, de l'uniforme des armées US. Cet aventurier sympathique était venu par le tramway avec la première vague des ouvriers ; et la foule l'acclamait comme le premier libérateur américain...Ce quiproquo allait durer d'autant plus longtemps qu'un des bataillons qui relèverait le 143è RI US, était commandé par un homonyme, le lieutenant-colonel Philip Johnson.

    A cette même heure, (...) le colonel Adams, renseigné sur la vacuité des approches de Grenoble, dévale à toute allure vers Pont-de-Claix, que son avant-garde - une compagnie d'infanterie, un peloton de chars et une batterie d'artillerie - atteint à sept heures. Le bataillon lui-même (...) fera son entrée à Grenoble à treize heures. Le colonel va prendre immédiatement liaison avec le commandant "Bastide" - Le Ray, chef des FFI de l'Isère, et bientôt avec le nouveau préfet, "Vauban", Albert Reynier.

     

    Extrait du livre "Alain Le Ray : le Devoir de Fidélité"...

     

    Il installera son QG à l'hôtel Napoléon, rue Montorge.

    Extrait du livre "Alain Le Ray : le Devoir de Fidélité"...

    L'arrivée des Américains provoque une immense flambée de joie ; et personne ne doute de ce que la menace qu'ils représentent a été déterminante dans la décision de Pflaum. Mais il est vrai aussi que leurs unités n'ont joué aucun rôle direct dans la libération de la ville.

     

     

     

     * Hochsommer : opération militaire menée le 8 août 1944 par le général Pflaum, dans le massif de l'Oisans.

    Yahoo!

    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires