• Albert de Seguin de Reyniès

    Albert de Seguin de Reyniès était le commandant du 6ème Bataillon de Chasseurs Alpins que le gouvernement français a contraint de dissoudre. Il prend ensuite la tête de l'Armée Secrète de l'Isère, jusqu'à sa capture le 6 mai 1944, et sa  disparition dans des circonstances encore floues. Le Capitaine Ariane Pinauldt évoque ce moment crucial de la Résistance iséroise.

     

    Pour le chef de bataillon de Reyniès, comme pour d'autres, l'objectif est clair : il faut chasser l'occupant. Mais par quel moyen ? Fin 1942, les diverses options impliquent toutes de devenir un hors-la-loi : rejoindre Londres ou l'Afrique du Nord, ou s'investir sur le territoire et trouver un cadre adéquat, car se préparer à l'affrontement signifie regrouper des hommes, donc trouver des moyens de subsistances et des armes. (...)

    Dès la défaite, différents mouvements s'étaient constitués, dans un climat cumulant motivations anti-allemandes et intentions politiques. Grâce à Jean Moulin, leurs composantes armées avaient commencé à s'entendre sous le vocable d'Armée Secrète (AS), placée sous l'égide du général de Gaulle et commandée par le général Delestraint.

    D'autre part, la dissolution de 1942 provoque l'apparition de l'organisation métropolitaine de l'armée, future Organisation de Résistance de l'Armée (ORA), constituée par les militaires qui, refusant de voir disparaître l'armée nationale, s'emploient à en conserver la structure. (...)

    Dans un premier temps, Albert de Reyniès cherche à maintenir la cohésion de son bataillon, manipulant les contacts avec les cadres, tenant à jour la liste des démobilisés. En parallèle, il occupe un emploi à Saint-Laurent-du-Pont, dans l'administration des Eaux et Forêts, grâce à un ancien subordonné : M. Gilles.

    En mars 1943, il reçoit une affectation au centre démobilisateur de Pont-de-Claix, ce qui lui permet de conserver  un appartement au centre de Grenoble. (...)

    Au printemps 1943, la mise en place du Service du Travail Obligatoire (STO) pousse un nombre croissant de réfractaires vers la clandestinité. Des réseaux d'aide se constituent ; à Grenoble, l'un des pivots est le vicaire de la cathédrale, Henri Grouès, dit l'abbé Pierre. L'enjeu est de permettre à ces jeunes de se cacher et de survivre. Certains rejoignent des maquis anciens qui s'étaient constitués dans un contexte idéologique, en opposition avec la politique menée par le régime de Vichy. D'autres se regroupent avec pour principale motivation le refus du départ en Allemagne. Ces derniers, réunis aux alentours de Pommiers (sur la route de Voreppe), au col de la Placette, surnomment la grange où ils sont provisoirement installés "Marquis Palace". Mais la vie cachée ne peut être une fin en soi, et il faut quelque argent pour subsister. Là encore, le réseau de l'abbé Pierre y pourvoit, grâce à deux personnages qui auront des rapports directs avec le commandant de Reyniès : Pierre Godart, "Raoul", et Zunio Waysman, "Gilbert". Le premier est accepté par le petit groupe pour leur apprendre les bases militaires qui leur manquent, et le second est chargé de la collecte et de la distribution des ressources financières.

    A la même période, l'activité souterraine d'Albert de Reyniès prend une plus grande ampleur : le général Laffargue lui confie la tête de l'organisation au sein du département. Il accepte cette lourde tâche avec gravité, mais sans manifester d'enthousiasme : ce poste l'éloignera du bataillon qu'il veut reconstituer et le conduira à multiplier les déplacements et les contacts, autant de risques de se faire repérer par les occupants. Les routes de l'abbé Pierre et du commandant de Reyniès se rejoignent alors autour de la question des jeunes réfractaires.

    (...)

    A l'été 1943, le Marquis Palace doit déménager, car l'emplacement en Chartreuse est trop exposé à l'ennemi. Ils s'installent à plus 1.500 mètres d'altitude sur le plateau de Sornin, au sommet des falaises dominant Sassenage. Ils arrivent ainsi dans le Vercors, massif que d'autres clandestins ont déjà choisi comme refuge. Cependant, ils ne sont pas assimilés aux autres Résistants, car Reyniès et l'ORA e partagent ni l'orientation politique des maquis de la mouvance Francs-Tireurs (connus pour leur coloration socialiste), ni le ralliement au général de Gaulle (assumé par l'Armée Secrète). Pour eux, ces débats n'ont simplement pas lieu d'être, seule la lutte armée les préoccupe, l'inclination politique étant du ressort de l'individu.

    La conception de la lutte est aussi distincte : là où les uns privilégient l'action immédiate et directe, sous forme de coups de main ou d'attentats, les autres préconisent une longue préparation, limitent les interventions au minimum nécessaire à la survie et s'emploient à créer les conditions permettant de mener un combat de plus grande ampleur quand le moment sera opportun.

    L'action de Reyniès, "Raoul", qui prendra ensuite le pseudonyme de "Roland"est rendue possible grâce aux subsides de l'ORA, peut-être à l'encontre des conceptions du général Laffargue. : celui-ci n'approuve pas le rapprochement avec les autres maquis qu'il considère comme des excités, et dont les agissements n'ont pour conséquence que de durcir l'attitude de l'occupant face aux populations civiles.

    (...)

    Dans le département de l'Isère, les massifs montagneux sont devenus des zones de refuge pour divers réfractaires : Belledonne, Oisans, Chartreuse. Le Vercors. lui, occupe une place à part dans ce paysage : des huit secteurs organisant le territoire, il est le seul à relever directement de l'état-major national, car le "Plan Montagnards" en fait une sorte de base avancée d'où les troupes allemandes pourront être prises à revers le jour où un débarquement aura lieu en Provence. Une exception cependant : dans le hameau de Malleval, jusqu'à une centaine d'hommes relèvent de Roland. Le noyau, issu du groupe réuni par l'abbé Pierre, est placé sous la direction de Raoul ; l'hiver approchant, ils s'étaient installés à une altitude plus clémente que le plateau de Sornin, dans un recoin de l'Ouest du Vercors, à la hauteur de Saint-Marcellin. Là, au fond des gorges du Nan, ils semblaient être dans une forteresse inaccessible. Le groupe étoffé devait être la base de la future renaissance du 6ème BCA, d'autant que leurs cadres provenaient pour certains de la prestigieuse unité.

    Roland a su trouver les collaborateurs nécessaires pour effectuer des liaisons dans tout le département. Il est entouré d'un chef d'état-major, le capitaine Lecoanet "Lecompte", surtout chargé des contacts avec les civils et les mouvements, et d'un adjoint "opérations", le capitaine de l'armée de l'air Hirschauer. Cependant, selon ce dernier, "chacun fait un peu toutes les tâches et beaucoup de kilomètres en liaison, en contacts, etc...". Pour les deux capitaines Hirschauer et Lecoanet, le contact avait été établi par le biais de camarades connus à l'école des cadres d'Uriage.

    (...)

    Dans cette petite équipe, les relations sont bonnes, l'ascendant naturel d'Albert de Reyniès convaincant sans peine les anciens militaires. Mais dans la société parallèle des réseaux clandestins, les conflits individuels ne sont pas rares. Ainsi, début janvier 1944 se cristallise à Malleval l'opposition entre Raoul et Gilbert. Ce dernier, pourvoyeur de fonds au début, est devenu une sorte de chef civil, et la cohabitation avec Raoul, chef militaire, ne fonctionne pas. (...) A plusieurs reprises, la mésentente est portée devant Roland qui assure toujours Raoul de son autorité, mais le 5 janvier, après un quasi coup d'état où Gilbert a empêché Raoul de rejoindre Malleval, tous deux sont écartés du Vercors et un nouveau chef est nommé : il s'agit du sous-lieutenant Eysseric, "Durand", ancien sous-officier du 6ème BCA.

    Le départ de Raoul provoque une scission car les anciens de Chartreuse n'admettent pas son éviction et partent à leur tour. Les troubles dans la direction du maquis n'est pas favorable à l'organisation du déplacement projeté. Pourtant, les craintes de Raoul étaient justifiées et le 29 janvier, les colonnes ennemies déferlent sur le refuge, traquant les insurgés dans les moindres recoins, allant jusqu'à fusiller des civils et incendier les bâtiments. Le maquis FTP voisin est aussi durement touché. Au bilan, une quarantaine de victimes, tués ou déportés, dont Durand, le nouveau chef. Six mois avant la grande offensive sur le massif du Vercors, l'armée nazie fait la démonstration de l'efficacité de ses méthodes et de son acharnement sur les populations suspectées d'aider les terroristes.

    Pour Reyniès, c'est un coup très dur : perte des hommes dont il avait la responsabilité et échec temporaire de la recréation du bataillon.

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