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Refuge en Isère / Fuite en Suisse (II)
Au-delà des chiffres, il est intéressant de voir qui fuit d'Isère en Suisse au moment des rafles de Vichy, et comment.
Pour une part, ce sont des hommes internés au 351ème Groupe de Travailleurs Etrangers (GTE) sis à Uriage. La plupart sont détachés chez divers employeurs, comme le Lituanien Léonidas Levitinas, ingénieur et étudiant en chimie à Grenoble, qui est employé comme jardinier à la villa Saint-Hugues à Saint-Egrève, une maison de Jésuites. Ils n'obtempèrent pas à leur convocation à Uriage, qui leur arrive le 20 août, et se cachent.
D'autres, non incorporés, ont été convoqués à Uriage ad hoc le 22 août pour la déportation ; avertis, ils ont décidé de s'y soustraire. Levetinas est parmi les premiers à s'évader du GTE d'Uriage. Avec plusieurs de ses camarades, il va bénéficier du secours des religieuses de Notre-Dame de Sion. (...) Le Père Blanchard lui "donne des indications" pour passer en Suisse via Chamonix avec un guide, auquel il ne devra pas demander son nom, et qui sera "averti par Notre-Dame de Sion".
En guise de reconnaissance, les fugitifs devront porter une écharpe enroulée autour de leur main. Ils se cachent au couvent avant d'entreprendre le voyage qui les emmène vers la sécurité par Chamonix, Montroc, le refuge Albert-1er, puis la frontière suisse et Martigny. Le prix du passage est de 1.500 Francs par tête.
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Après le passage de Levitinas et de ses camarades, le bruit de la "filière" de Notre-Dame de Sion se répand dans le milieu des étudiants de l'institut polytechnique (...), puis dans un cercle plus large comprenant surtout des universitaires et des intellectuels, certains venus de plus loin. Des couples laissent leurs bébés aux bons soins de Notre-Dame de Sion avant de passer en Suisse. Les soeurs de Sion, avec l'aide des familles, feront passer les enfants par la suite.
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Tous les fugitifs ne bénéficient toutefois pas de l'aide d'une telle filière, capable de leur procurer faux papiers, cachettes et passeurs. Certains en sont réduits à organiser leur passage eux-mêmes. (...) D'autres fugitifs font appel à des guides de haute montagne professionnels. Un groupe est arrêté le 17 septembre par la douane suisse en pleine montagne, à la cheminée des Ottans, passage vertigineux et aérien selon les descriptifs actuels, en compagnie des guides Maniglier de Cluses et Morello de Grenoble. Ils ont payé 12.000 Francs la course pour quatre personnes. D'autres groupes passent plus haut encore, par les Aiguilles du Tour, à plus de 3.500 mètres.
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A chaque fois que l'afflux de fugitifs juifs a augmenté à la frontière franco-suisse, le nombre de refoulements a fait de même : la Suisse est restée aussi peu tolérante envers les victimes de la persécution à la fin de l'Occupation qu'elle ne l'était à son début, alors qu'elle avait - peut-être - encore l'excuse d'ignorer la gravité du danger spécifique encouru par les Juifs. L'automne 1943 voit même se déchaîner un véritable excès de zèle à la frontière genevoise, qui entraîne le refoulement de nombreux fugitifs, dont quelques uns venus de l'Isère, qui seront par la suite plus ou moins vite déportés. Le refoulement d'enfants est à nos yeux particulièrement scandaleux ! Et pourtant, les autorités militaires genevoises n'ont pas hésité à barrer la route de l'asile à de nombreuses familles qui n'avaient pas les papiers en règle pour prouver l'âge de leur enfant, ou qui ne les avaient pas falsifiés.
(Source : Justes de l'Isère : le sauvetage des Juifs 1940-1944)
Tags : suisse, isere, uriage, refuge, GTE, villa Saint-Hugues, père blanchard, notre-dame de sion
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