• A l'ombre des Justes

    Savoyarde d'origine, Louise arrive à Grenoble, par les hasards de la vie. Elle épouse Julien, un sergent ayant vécu la guerre de 14-18. Sur les conseils de son oncle, elle passe, puis réussit un concours administratif.

    Après une expérience réussie au Tribunal de Grenoble, mais écourtée à cause d'un Président du Tribunal harceleur, elle se retrouve à la Préfecture, au Service des Etrangers. Alors que les événements se précipitent (Julien pris dans la poche de Dunkerque, l'Italie qui entre en guerre aux côtés de l'Allemagne, puis l'afflux de réfugiés), l'armistice est proclamé.

     

    A l'annonce de l'armistice, les habitants furent partagés entre le soulagement, la tristesse et la résignation. Le 25 juin 1940, Grenoble faisait la morte. Désert, silence, pluie. A nos yeux, la présence des Allemands sur le territoire français entérinait le danger, comme un mauvais présage. Nous étions très pessimistes et furieux. Les réfugiés arrivaient par vagues et à la préfecture, je recevais les étrangers pour mettre leurs papiers en règle avec la loi française.

    Un certain Monsieur Timar est arrivé un jour à mon guichet, et il m'a demandé de lui établir une carte de séjour. C'était obligatoire ! Il lui fallait également une autorisation de travail pour être en règle sur le département. Il devait se faire régulièrement contrôler, sinon il pouvait se faire expulser ou envoyé en cas d'internement. Je me suis donc occupé de ses papiers.

    Il se prénommait Egon.

    J'ai eu un peu de mal à le comprendre au début, car il se présentait comme hongrois, mais il avait un passeport roumain. Il insistait et moi je ne comprenais plus rien. :

    - Mais Monsieur, vous me dites que vous êtes roumain, mais vous êtes hongrois !

    - Je suis hongrois, mais mon passeport est roumain !

    - Donnez-moi votre acte de naissance.

    - Mais Madame, c'est impossible, je ne peux pas avoir mon acte de naissance, en raison des événements !

    Alors j'ai fini par m'adresser à Paris au fichier central concernant tous les étrangers, sur le territoire, et j'ai eu la confirmation que Monsieur Timar était bien roumain depuis qu'une partie de la Hongrie était passée aux mains de la Roumanie en 1918. Nous sommes entrés en relation comme ça, très simplement. Il avait trouvé que j'avais été gentille avec lui et il était si heureux qu'il est venu un jour m'apporter un sac de sa fabrication, en remerciement. Je l'ai refusé délicatement. Je n'avais pas le droit d'accepter.

    (...)

    Des le printemps 1941, la police française commença les premières arrestations et nous découvrions au matin, sur les rideaux de fer des magasins, des inscriptions comme "Sale Juif". Mais malgré ce climat menaçant, nous n'étions pas soumis aux textes applicables en zone occupée, où pendant tous ces mois de l'année 41, se succédèrent les mesures discriminatoires à l'égard des Juifs : recensement, spoliation, comptes bloqués, rafles, arrestations.

    Et en juin 41, ce fut le deuxième statut des Juifs qui étendait la notion de Juif au fait "d'être issu de deux grands-parents de race juive".

    (...)

    Au fil des années 41-42, une cascade de décrets distillés semaine après semaine, nous transforma en parias, en non-citoyens interdits de droits. Interdits de profession libérales, artisanales, commerciales, industrielles, interdits de radio, interdits de changer de nom, de changer de résidence, couvre-feu, port de l'étoile jaune, tampon sur les cartes d'identité, déclaration de changement de résidence, dernier wagon du métro réservé aux Juifs, magasins autorisés entre 15 et 16 heures, interdictions multiples : spectacle, bicyclette, fréquentation de lieux publics, téléphone, usage de cabine téléphonique, jeux entre enfants juifs et non-juifs. Une véritable avalanche de discriminations et d'humiliations !

    Dans l'Isère, les décrets sur les Statuts des Juifs ne furent pas très suivis. Cependant, les services départementaux mirent beaucoup de scrupules à appliquer les mesures concernant les fichiers.

    (...)

    L'étau se resserrait. Déjà munis de papiers en règle par les soins de Louise, nous avons décidé de ne jamais nous déclarer comme israélites et par prudence, nous n'avons donc jamais entrepris les démarches de recensement, malgré les risques de dénonciations et de poursuites judiciaires.

    A l'aide de notre hôte grenoblois, Pierre Brunet, nous avons remonté une affaire de maroquinerie, puisque c'était notre métier. (...) Pierre et nous étions devenus de vrais amis. Cet homme était un être remarquable, intelligent, d'une correction absolue. Nous l'aimions profondément.

    Pendant notre tentative d'installation à Grenoble, mes deux frères essayaient de partir de leur côté, Outre-Atlantique. Ils avaient épousé deux sœurs. Leur beau-frère commun vivait à New-York et devant le péril nazi, il avait proposé à ses sœurs de venir le rejoindre avec maris et enfants. Les U.S.A contrôlaient fortement l'immigration et pour obtenir les papiers nécessaires, l'accueillant américain devait fournir des garanties de travail et d'hébergement sur place.

    De longs mois se sont écoulés avant que les deux familles puissent se sauver aux Etats-Unis par la voie consacrée, l'Espagne et Lisbonne.

     

    (Source : A l'ombre des Justes - Marie Billet)

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