A la fin du mois d'avril 1944, toute la France entend parler de cette petite ville industrielle de l'Isère située au nord-ouest de Grenoble, sur la route de Lyon. Le soir du 20 avril, une famille entière de miliciens y est décimée.
Ernest Jourdan est responsable de la milice de Voiron dès sa création. Cet industriel chaudronnier de 43 ans fait figure de notable local, très actif en politique avant-guerre. (...) Jourdan jouit d'une influence considérable : il a, dit-on, des intérêts dans le journal hebdomadaire local Le Petit Voironnais. C'est tout naturellement qu'il rejoint la Légion, le SOL* et au-delà, la Milice, dont il devient un responsable très actif. L'homme est un organisateur-né, un meneur : il recrute si bien que les effectifs de la Milice de Voiron atteignent 97 membres, chiffre considérable si on le compare à ceux de l'Isère. C'est un cinquième des recrutements (493) et près de la moitié des miliciens actifs à l'été 1944.
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Au début de l'année 1944, Darnand est au gouvernement : Ernest Jourdan se sent invulnérable, d'autant qu'à Grenoble, la direction de la Milice connaît un flottement. Son comportement brutal lui attire l'animosité d'une grande partie de la population. Les Renseignements généraux et les rapports de gendarmerie signalent les débordements de Jourdan et parlent même de vols.
En effet, Jourdan et ses hommes se distinguent vite par leurs exactions, en particulier contre les Juifs, qui sont nombreux à avoir trouvé un refuge dans les environs. Cet antisémite notoire met vite en pratique le dix-neuvième point de la Milice "Contre la lèpre juive. Pour la pureté française". Début mars, Jourdan procède à des arrestations de familles juives. La villa des Cèdres, propriété d'un industriel papetier qui hébergeait des Juifs, est réquisitionnée. Elle devient une terrible geôle vers laquelle sont amenées les victimes dépouillées de leurs biens. Fin mars, le cauchemar s'arrête soudain. Les victimes emmenées à Lyon sont libérées. (...) Les victimes de la villa des Cèdres parlent, témoignent. Désormais, Jourdan est dans la ligne de mire de la Résistance.
Ernest Jourdan représente ce dont la Résistance a, dès le début, accusé le recrutement milicien : d'être similaire au mode d'enrôlement de la pègre. Le thème est même repris par La Gazette de Lausanne début avril, qui parle de groupes miliciens composés "des éléments troubles, sortis des bas-fonds". Il est vrai que, entretemps, la guerre s'est ouverte entre la Milice et le Maquis. (...) Dès lors, l'exécution de Jourdan a toute sa place dans cette guerre qui s'annonce sans merci.
Le soir du 20 avril Jourdan est chez lui, entouré de sa famille. Il y a là, dans la grande cuisine, sa femme et sa belle-soeur. Deux jeunes miliciens en armes sont également présents pour assurer la protection de leur chef depuis que celui-ci a été désigné par Londres comme un homme à abattre. A l'étage se trouve sa mère de 66 ans qui dort près de la petite Danielle, 3 ans. Les deux aînés sont sortis. On frappe à la porte, ce sont des élèves de l'école professionnelle d'en face qui se présentent. La famille Jourdan les connaît bien. Deux d'entre eux ont déjà sollicité, il y a un mois de ça, leur adhésion à la Milice et sont venus écouter l'éditorial radiophonique de Philippe Henriot à plusieurs reprises. Jean Colonna (20 ans), Edouard Girard (18 ans), Yves Gonin et André Touche pénètrent dans la cuisine. Au bout de 10 minutes, à un signal convenu, les garçons font feu sur Jourdan et les deux miliciens, les abattant dans le dos. Les armes se tournent ensuite vers les deux femmes. L'un des agresseurs, Touche, est blessé dans le tir de ses compagnons. Girard l'évacue pendant que Colonna grimpe à l'étage où il abat la grand-mère à bout portant de deux balles. La fillette réveillée crie. Colonna la saisit et lui tire cinq balles dans la poitrine avant de l'achever d'une balle dans la tempe.
C'est le fils de 16 ans, Maurice Jourdan, qui découvre la scène le lendemain matin.
* SOL = Service d'Ordre de la Légion (organisation précurseur de la Milice)
(Source : Les six Miliciens de Grenoble - Pascal Cauchy)