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    Le 31 mars 1944, Michel Debré désigne Albert Reynier comme futur préfet de l'Isère. Mais avant cela, qui était-il ? Albert Reynier était instituteur en Tunisie, puis à Izeaux (Isère), puis directeur de l'école d'application à la Capuche (Grenoble). Il rejoint le mouvement résistant Combat en 1941. S'ensuit une ascension jusqu'à devenir chef de l'Armée Secrète en Isère.

    Albert Reynier était proche des idées des députés socialistes de l'Isère qui refusèrent de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, le 10 juillet 1940. Tout comme Séraphin Buisset, Léon Hussel et Léon Martin, il était un homme de gauche au profil typique de sa génération, il ne crut jamais aux sirènes communistes. (...) Son principe ? La République.

    Par ailleurs, Reynier était franc-maçon. Il appartenait à la loge Avenir, affiliée à la Grande Loge de France, à l'activisme politique mesuré et qui s'affirmait volontiers déiste. Son nom apparaît ainsi sur une liste des frères maçons grenoblois établie en 1932 par les Croix-de-Feu, le mouvement d'anciens combattants d'extrême-droite dirigé par le colonel de La Roque. (...) Il appartenait corps et âme à cette république des instituteurs. Pour son fils Paul, ce qui résumait le mieux sa vision du monde était "sa probité d'instit".

    Au sujet de la guerre (...), Albert Reynier n'avait pas cru au pacifisme qui, durant l'entre-deux-guerres, séduisit bon nombre de ses camarades anciens combattants. A presque cinquante ans, il accueille la déclaration de guerre avec sérénité. Officier de réserve, il est resté un soldat dévoué, énergique et courageux. Il retrouve intact ses réflexes de combattant et ses actions efficaces lui valent une deuxième Croix de guerre.

    Comme tous ou presque, il est surpris par la rapidité et l'ampleur de la défaite de 1940. (...) A partir de juin (demande d'armistice de Pétain le 17 ; signature à Rethondes le 22), la donne change. Au classique affrontement séculaire entre Français et Allemands, s'ajoute un inédit historique : la Collaboration avec l'ennemi. De ces jours funestes, le cheminement qui conduit Reynier à l'entrée en Résistance est balisé. Il passe par une première étape, celle de la dissidence. En l'occurrence, Reynier, comme la majorité des anciens combattants, conservait un réel respect pour le vainqueur de Verdun. Mais il pleura quand il entendit Pétain justifier l'armistice à la radio : définitive rupture morale. 

    Le décret-loi du 15 août 1940, exigeant que tout fonctionnaire prête serment de fidélité au nouveau régime, le place dans le viseur de Vichy. Une enquête est instruite à son sujet. Instituteur républicain, proche des socialistes, franc-maçon, la vie et l'œuvre de Reynier furent passées au crible de la scrupuleuse attention de son supérieur hiérarchique, l'inspecteur d'académie Pironon. Le zélé fonctionnaire vichyste, promu durant la guerre inspecteur général, loue les qualités d'un "homme de devoir, un Français de classe, un éducateur", protégeant ainsi (sans le vouloir ?) le futur "Vauban".

    Pendant que le régime attaque durement l'institution scolaire (Mme Reynier est mise d'office à la retraite), Albert Reynier en reste officiellement membre jusqu'en juillet 1944, alors même qu'il se cache à cette époque entre Theys et Prabert.

    L'entrée en Résistance d'Albert Reynier, dit "Vauban"

    L'entrée en Résistance d'Albert Reynier, dit "Vauban"

    C'est entouré de personnes qui lui ressemblent que Reynier débute sa mue. Début 1941, se groupent autour de lui des personnalités fortes. Presque tous sont des "pédagos" (selon l'expression de Véronique Filippi, qui a effectué un mémoire de maîtrise sur Albert Reynier) : Camille Fournier, instituteur démis de ses fonctions parce que franc-maçon. Henri Marion, ancien directeur de l'école de la rue Cornélie-Gémond (à Grenoble), qui fit valoir ses droits à la retraite en 1940, ou encore son ami Machau, instituteur à l'école Lesdiguières (à Grenoble). Beaucoup sont sous-officiers ou officiers de réserve. Reynier, qui est destinataire fin 1940 d'une proposition d'adhésion à la Légion Française des Combattants censée constituer autour de la personne du Maréchal un mouvement politique de masse groupant les anciens combattants, s'est empressé de ne pas donner suite, manifestant ainsi le mépris dans lequel il tient le nouveau régime.

    Si l'instituteur accompagne les classes dont il a la charge sur le parcours qu'emprunte le Maréchal Pétain le 19 mars 1941, lors de sa visite à la capitale des Alpes (comment faire autrement ?), c'est pour en revenir encore plus dépité. Il se sent trahi par le vainqueur de Verdun.

     (Sources : Albert Reynier : Préfet de la Résistance - Philippe Barrière ; Mappy.com.)

     

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  • "Le gouvernement de Vichy avait décrété que le 11 novembre 1943 ne serait pas chômé. Malgré cette mesure, les effectifs dans les entreprises et les usines de la région, particulièrement à Grenoble, étaient squelettiques ce jour-là. La population en ayant décidé autrement, car une manifestation était prévue en ville par les organisations de Résistance pour commémorer l'anniversaire du 11 novembre 1918.

    Des tracts et des affiches avaient été imprimés, invitant la population à se joindre à nous. Les affiches ne devaient être mises en place que le plus tard possible pour éviter qu'elles ne soient détruites prématurément. Relativement peu étaient collées le 10 au matin, mais de nombreux tracts avaient été déposés dans les boîtes aux lettres. Fort heureusement, beaucoup de personnes se contentèrent de ne pas se rendre au travail, restèrent chez elles, et par là marquèrent leur réprobation aux valets d'Hitler. Ce même jour, 10 novembre, nous apprîmes que les occupants préparaient une action contre les Résistants et les patriotes et que, comme d'habitude, leur intervention serait féroce.

    Prévenu de son côté, Nal me dépêcha un agent de liaison, "Christiane", pour me demander de diffuser le contre-ordre de participation par tous les moyens à ma disposition. Tout l'après-midi, et jusqu'au couvre-feu fixé à 20 heures, cette nouvelle fut colportée par toutes les filières possibles, avec prière de faire suivre, ainsi que l'interdiction de coller de nouvelles affiches ou de continuer à distribuer les tracts. Quelques Résistants ne purent être prévenus : la population, composée principalement de sympathisants non affiliés à un mouvement constitué, se rendit, trop nombreuse encore, à la manifestation. La place fut cernée : seules 2 à 300 personnes purent échapper à la tenaille.

    Les Allemands ne relâchèrent que très peu de gens. La suite fut dramatique : la déportation suivit en masse. Près de 300 des 400 déportés ne revinrent pas des camps de la mort.

    Malgré l'interdiction, des affiches furent encore collées dans la nuit du 10 au 11 novembre 1943, probablement par des inconscients ou par des groupuscules non informés ou, pire, mal intentionnés. Il est évident que dans cette tragique affaire, il nous fut matériellement impossible de faire imprimer de nouvelles affiches ou de nouveaux tracts et de les diffuser.

    Il faut également préciser que quelques uns des Résistants et des sympathisants prévenus par le bouche-à-oreille, interprétèrent ce contre-ordre comme une manœuvre montée par nos ennemis dans le but de saboter la manifestation prévue, et prirent la malencontreuse décision de s'y rendre."

    (Source : Flashes sur la Résistance en Isère - Robert Favier)

     

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  • Durant l'occupation de Grenoble par les Allemands, Louis Nal commandait les Groupes Francs. Robert Favier était son adjoint : il raconte comment lui et son groupe ont fait exploser le fort des Quatre-Seigneurs (sur la commune d'Herbeys).

    "Sans attendre la capitulation de leur pays, le 8 septembre 1943, les Italiens évacuèrent les différents ouvrages dont ils étaient censés assurer la garde, en particulier le fort des Quatre-Seigneurs (situé sur les contreforts du massif de Belledonne), où étaient murés d'importants stocks de munitions et d'explosifs. Les Allemands, probablement à court d'effectifs, ne prirent possession des lieux qu'à la mi-journée du 12 septembre 1943. Au cours de ce laps de temps, Louis Nal décida de récupérer un maximum de trésors emmurés, d'une part pour les soustraire aux Allemands, et surtout pour alimenter la résistance qui allait en avoir de plus en plus besoin.

    C'est le groupe Roux-Fouillet, dont le PC était situé à la ferme Armand au Mûrier (entre les communes de Gières et de Saint-Martin d'Hères), qui fut désigné et auquel s'adjoint Paul Vallier. (...) Il fallait faire vite, car nous savions qu'à la suite d'une dénonciation, les Allemands disposaient de l'inventaire exact du matériel camouflé dans l'ouvrage, et de ce fait risquaient de ne pas tarder à l'investir. Seuls restaient au fort un sous-officier et son épouse, mais ils durent tout abandonner sur place, et quitter la région : ils furent partiellement dédommagés par la suite.

    L'enlèvement dura 48 heures et nécessita pas mal de voyages à l'issue desquels un matériel considérable fut enlevé et réparti dans différentes caches. Le 12 septembre 1943 vers 11 heures, Paul Vallier monta au fort à vélomoteur et, la voie étant toujours libre, mit en place plusieurs "crayons" détonateurs. Le retard prévu pour le déclenchement était de deux heures.

    En redescendant vers le Mûrier où l'attend le Groupe Franc de Roux-Fouillet, il croise un car d'Allemands qui viennent occuper les lieux. A 13 heures, rien ne se passe. Ni à 14 heures, ni à 15 heures : l'inquiétude va grandissante. Enfin, vers 15h30, une formidable explosion fait tout vibrer à plusieurs kilomètres à la ronde. Le fort vient de sauter avec les Allemands, dont il ne reste rien.

    Nos ennemis procédèrent à une enquête très poussée à l'issue de laquelle ce sont les Italiens qui furent soupçonnés d'avoir miné le fort. Cette conclusion était parfaitement plausible, et elle évita ainsi de graves représailles contre la population locale.

    Schématiquement, ces crayons étaient composés d'une ampoule emplie d'acide qui, une fois libéré (en retirant une languette ou une goupille), venait ronger un fil métallique dont la rupture déclenchait l'explosion. C'était la section variable du fil qui avait conditionné le retard d'allumage : il était évident que cela ne pouvait être extrêmement précis. Vallier a également pu se tromper et prendre des engins de trois ou quatre heures de retard à la place de ceux de deux heures.

    Le Groupe franc Roux-Fouillet, composé de 15 hommes, fut malheureusement anéanti le 4 janvier 1944. Ce jour-là, 12 d'entre eux furent arrêtés, transférés à la Gestapo de Grenoble, puis déportés au camp de Mathausen. 7 seulement en revinrent, tous profondément marqués par les terribles épreuves endurées. Elie Roux-Fouillet décéda en déportation au camp de Mathausen, quelques jours seulement avant l'arrivée des Américains, qui eut lieu le 5 mai 1945.

     

    (Sources : Flashes sur la Résistance en Isère - Robert Favier (d'après les notes de Camille Armand) ; mappy.com)

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  • Durant l'occupation de la France par les Allemands, Louis Nal commandait les Groupes Francs. Robert Favier était son adjoint : il raconte quelques souvenirs de Résistance.

    "La pression exercée par les Allemands (et leurs séides, les miliciens) devenant de plus en plus forte, et seuls leurs véhicules et ceux de quelques corps de métiers indispensables ayant encore le droit de circuler, je décidai le 21 mars 1944, d'aller le lendemain planquer à Fontaine le dernier engin motorisé que j'utilisais encore quelquefois. En ville, on ne voyait plus que quelques cyclistes et les quelques véhicules précités. Le seul fait d'utiliser un moteur quel qu'il soit entraînait une suspicion extrêmement grave et prouvait que l'on était en possession de carburant : en cas de contrôle, il eut fallu en indiquer la provenance. N'étant pas inscrit sur le registre des ayants droit, il ne restait comme explication que le marché noir ou pire : la Résistance. C'était là une véritable imprudence qu'il valait mieux ne pas commettre si on ne voulait pas de complications (...). Il est évident néanmoins que nous étions contraints et forcés de déroger à ce principe, par exemple pour un enlèvement de ravitaillement, de tabac, ou pour procéder à une destruction de matériel ou d'usine.

    Le 22 mars 1944, j'emmenais donc ma moto de Grenoble à Fontaine, chez des amis. Pour ce faire, j'empruntais le pont sur le Drac, qui relie le Cours Berriat à l'avenue Aritide-Briand. Vers le milieu de l'ouvrage quasiment désert, je vis arriver une autre moto en sens inverse. Reconnaissant ses passagers, je saluai d'un signe de la main au moment du croisement, mais je n'obtins aucune réponse. Paul Vallier (Gariboldy) pilotait et Jean Bocq (Jimmy : son adjoint) avait pris place sur le tan-sad (siège arrière). Je subodorais l'endroit où ils se rendaient et, de retour à Grenoble, à vélo, je fis un petit détour pour passer rue de l'Elysée (actuellement Max-Dormoy). M'arrêtant à l'angle de la rue Mozart, j'aperçus la moto 250 cm3 New-Map une centaine de mètres plus loin.

    Focus sur : Robert Favier

    Ils étaient dans la maison inoccupée des parents de Paul, qui se trouve à l'angle des deux rues. Je frappai plusieurs fois et de plus en plus fort. Enfin la porte s'entrouvrit précautionneusement, puis toute grande lorsqu'ils m'eurent identifié. Ils rengainèrent leur pistolet automatique. Je leur demandai s'ils m'avaient vu, un moment plus tôt, sur le pont : la réponse fut négative. Je leur expliquai alors, en insistant fortement, à quel point il était suicidaire de circuler en ville autrement qu'à pied ou à bicyclette et que ce qu'ils faisaient était la meilleure façon d'attirer l'attention sur eux. Ce qui n'était pas, et de loin, le but recherché.

    Je ne sais si mon avertissement aurait porté ses fruits mais il n'en a pas eu le temps, car le soir même, Paul Vallier et Jimmy Bocq tombèrent dans une embuscade à Fontaine : Paul fut tué en essayant de protéger Jimmy déjà blessé. Ce dernier put s'échapper mais subit le même sort, ainsi que Bob Tarze à Saint-Nizier, en tentant de venger Paul Vallier, leur chef et ami."

    Focus sur : Robert Favier

     

    (Sources : Flashes sur la Résistance en Isère - Robert Favier (alias Mattras) ; mappy.com)

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  • Né en 1903 à Lorquin (Moselle), Charles Ochs connut l'occupation allemande jusqu'en 1918, date du retour de la Moselle dans le giron français. Sa famille parlait le français, ce qui lui valut beaucoup d'affronts lorsqu'il était gamin. Il n'aimait pas les Allemands. Grâce à une bourse de l'Etat, il prépare et réussit le concours d'inspecteur de police et il est nommé à Strasbourg.

    Passionné d'aviation, il accomplit son service militaire dans l'armée de l'air. Promu lieutenant-pilote, il participe à la seconde guerre mondiale à bord d'un avion d'observation chargé d'informer l'Etat-Major sur l'avance des troupes allemandes. Il est descendu, arrive à s'en tirer et repart le lendemain sur un autre appareil.

    L'armistice est signé. Ochs est proposé pour la légion d'honneur et nommé commandant de l'aéroport de Roanne, puis démobilisé.

    Il rejoint Strasbourg, où il retrouve sa famille. Les occupants lui offrent (puisqu'il redevient allemand) de réintégrer la Polizei avec un grade supérieur. Il refuse, déclarant qu'il est français et fier de l'être. Dans les vingt-quatre heures, il est expulsé avec sa femme, ses deux enfants et deux valises. Son appartement et ses meubles seront vendus au profit du Trésor allemand. Il est réintégré dans l'Administration française, mais à un sale poste où les volontaires sont rares : sous-directeur du centre de Fort-Barraux.

    Pendant trois ans, cet homme va mener une action exemplaire en faveur des Résistants. Le document concernant la libération de Roland Dumas est signé de sa main. Il écrit au préfet pour lui signaler que X (Résistant notoire) est atteint de tuberculose aiguë, que "les bacilles de Koch ne choisissent pas entre les gardiens et les détenus", que "de toute façon, X n'en a pas pour longtemps" et qu'il demande son "élargissement pour raison de santé" (faux certificat médical à l'appui).

    Il aide d'autres détenus à s'évader et "oublie" de le signaler, ce qui augmente d'ailleurs la ration alimentaire des autres. Avec les trafiquants du marché noir, il est d'accord pour les colis de ravitaillement, à condition que la moitié soit distribuée aux autres internés sous son contrôle. A Fort-Barraux, il renseigne et organise des coups de main des Groupes Francs, permettant à de jeunes maquisards de s'enfuir quelques heures avant l'arrivée des SS ou de la milice, qui devaient les cueillir pour les fusiller.

    Dénoncé soit par le chef de camp François Risterrucci, soit par un Résistant torturé, il est arrêté. Il est aussi torturé, mais ne parle pas. Il est expédié à Strasbourg au siège de la Gestapo et de là, il est envoyé à Flossembourg (dans le nord de l'Allemagne), où il meurt de faim en mars 1945.

    Le registre de l'état civil de la commune de Barraux indique son décès avec, en travers, la mention "mort pour la France" : c'est tout. Après son arrestation, sa famille a quitté le village et, depuis, c'est le grand silence de l'oubli...

     

    (Source : Fort-Barraux : Quatre Siècles d'histoires, François Lesbros)

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