• Les tueurs

    Georges Duron tient avec sa femme un commerce de fleurs, place Victor-Hugo, dans une sorte de kiosque de couleur vert sombre, érigé sur la place même, presque en face du Palais de la Bière.

    Le kiosque, Georges Duron et sa femme le partagent avec un marchand de billets de la Loterie nationale et le bureau des taxis qui stationnent le long du trottoir, portant chacun dans le dos la marmite de leur gazogène.

    Dans le quartier le plus central de Grenoble, les époux Duron vendent beaucoup de fleurs coupées aux messieurs qui achètent un bouquet en quittant leur bureau et aux femmes des immeubles cossus alentour qui veulent orner leur table.

    Il arrive à Georges de traverser la chaussée pour se rendre au "Palais" en compagnie de copains, comme lui sous-officiers en congé d'armistice. Rose Mollaret, la patronne, sait que son client a des affinités avec la Résistance. Lui-même n'en fait pas mystère.

    Jeudi 25 novembre vers 18 heures. Il fait nuit, quand une voiture s'arrête en double file le long des taxis. Une voiture de l'Administration sans doute, puisqu'elle roule à l'essence.

    Deux hommes entrent dans le petit magasin :

    - Monsieur Duron ? Police allemande. Suivez-nous !

    Il ne peut qu'obtempérer. Tout en enfilant son imperméable, il veut tranquilliser sa femme :

    - Je serai de retour bientôt. Une demi-heure au plus.

    On l'a tué avant la fin de la nuit à Varces sur la route nationale 75 (à 15 kilomètres au sud de Grenoble). L'un des tortionnaires avouera en 1945 qu'il a volé les 30.000 Francs que contenait son porte-feuille.

    Le même soir vers 18 heures, trois hommes se présentent au domicile de Roger Guigue dans le vieux Grenoble, au 15 rue Brocherie.

    - Police allemande !

    Guigue prend sa veste et lance à sa femme :

    - Je reviens dans une heure !

    Au matin, son corps est découvert dans un fossé à Meylan (dans la proche banlieue de Grenoble). Sept balles. Sur lui, un carton : "Abattu par les anti-terroristes. Sa mort répond à celle d'un patriote."

    Ancien employé du Parc d'artillerie, il avait été muté au Service du Génie, pour lequel il gardait l'un des vestiges des dernières fortifications de Grenoble, utilisé comme magasin de stockage.

    Malgré les recherches de la police allemande, le dépôt d'armes et de matériel qu'il avait constitué ne fut jamais découvert. Il n'avait pas parlé.

    Les 26 novembres vers 13 heures, une traction avant Citroën noire - le véhicule préférée de la Gestapo - s'arrête devant une villa au n° 60 rue de l'Elysée, dans le quartier de la Capuche. Trois hommes en descendent. Coup de sonnette.

    - Vous êtes bien le Docteur Girard ?

    On l'emmène sans ménagement dans des chaînes.

    Le lendemain matin, on retrouve son corps entre Seyssins et Claix. Une balle dans la nuque.

    Jacques Girard appartenait au Réseau Reims-Coty, monté par Pierre Fugain, un jeune militant communiste, étudiant en médecine.

    Dans la soirée, ce dernier demande à Joseph Aventure, un inspecteur de police ami, s'il peut récupérer des documents compromettants au domicile de Girard. Accompagné de deux collègues, Aventure se précipite. Avec Madame Girard, ils empilent tout ce qu'ils peuvent trouver dans une valise et filent en vitesse. Quelques minutes plus tard, les policiers allemands reviennent pour fouiller minutieusement chaque pièce.

    Le même jour vers 15 heures, trois hommes vont chercher le Docteur Henri Butterlin à son domicile, au 5 rue de Palanka.

    Le lendemain de bonne heure, le cadavre du malheureux est découvert criblé de balles près du hameau des Garcins à Vif. Une carte au crayon, sur son corps : "Comité régional anti-terroriste. Région des Alpes. Cet homme a payé de sa vie l'assassinat d'un National. Vive la France ! A bas de Gaulle !"

    Toujours le 26, à 7h30, Alphonse Audinos, ingénieur électricien, est enlevé chez lui, au 22 du cours Berriat, non loin de l'immeuble où est installée la Gestapo (au n° 28).

    Plus tard, un témoin dira que vers 22h30, une traction s'est arrêtée sur le chemin de Ronde entre les rues Abbé-Grégoire et Ampère.

    Cinq hommes sont sortis de la voiture : quatre pour entourer le cinquième. Quelques pas. Des coups de feu. La voiture repart avec quatre occupants seulement. 

    Dans la nuit, une patrouille de la Wehrmacht découvre le corps d'Antoine Audinos et va aviser la police française.

    Le samedi 27 vers midi, deux hommes, la trentaine, parlant correctement le français, entrent au Café du Tribunal, place Saint-André, devant le Palais de Justice. C'est le point de rencontre des "localiers", les journalistes chargés de la récolte des faits-divers dans une ville.

    - Jean Pain est là ?

    - Non. Il n'est pas souvent ici à cette heure-là. Revenez plutôt ce soir vers six heures.

    - Vous pourrez lui dire que nous voulions le voir pour lui faire une commission de la part de son neveu de Lyon ?

    Jean Pain est le correspondant à Grenoble du Lyon Républicain. Depuis peu, il est responsable du service Maquis à Combat, poste que lui a confié le professeur Bistési, chef départemental.

    La nuit tombe. Un peu avant six heures, il arrive en compagnie de plusieurs confrères.

    - Monsieur Pain, deux messieurs sont venus vous voir pour vous faire une commission de la part de votre neveu de Lyon.

    Jean Pain s'étonne, puis reprend sa conversation. Un quart d'heure plus tard, une voiture s'arrête devant le Tribunal. Deux hommes, les mêmes qu'à midi, pénètrent dans la salle, passant devant Jean Pain que, manifestement, ils ne connaissent pas.

    - Jean Pain est là ?

    La patronne se tourne vers ce dernier qui s'avance.

    - Vous me cherchez ?

    - Police allemande !

    Le journaliste est embarqué dans la traction qui s'éloigne dans la Grande Rue.

    A l'aube, on découvre un cadavre sur le chantier de réfection de la route nationale 75 dans la côte du Chevallon sur la commune de Voreppe. Jean Pain a été tué de trois balles. A côté, une pancarte le dénonce comme terroriste.

    Le 27 vers 18h30, une traction noire s'arrête place Vaucanson, terminus animé de plusieurs autocars. Le chauffeur reste à son volant. Les trois autres occupants de la voiture entrent au n° 2. L'un deux surveille la cour et l'arrière de l'immeuble. Ses acolytes grimpent par l'escalier et sonnent à la porte de M. Bernard, agent d'assurances.

    Ce dernier vient ouvrir.

    - Nous voulons voir Monsieur Bernard pour un contrat.

    - C'est moi.

    Sans un mot de plus, le plus grand des tueurs abat l'assureur qui s'effondre, touché à mort. Sa fille et son petit-fils accourent.

    Les Allemands s'en vont sans hâte, enjambant les colis qui encombrent le trottoir devant le café. Ils ne savent pas encore qu'ils ont tué par erreur : ils cherchaient un autre Bernard.

     

    Ci-dessous : la Saint-Barthélémy grenobloise : villes où on été retrouvés les cadavres des principaux Résistants isérois.

    Les tueurs

     

    (Sources : www.mappy.com ; Et Grenoble explosa...L'exploit d'un soldat isolé : Aimé Requet - Georges Avallet)

    Yahoo!

    Tags Tags : , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :