• A l'automne 1940, dans de nombreuses villes de France, se réunissent des petits groupes de personnes, généralement associées par des réseaux issus de l'avant-guerre : politiques, syndicaux, voire religieux ou sportifs. On y discute de questions simples dans la formulation, mais auxquelles on est bien en peine, faute de moyens et surtout de perspectives d'action, d'apporter même une esquisse de réponses précises : Que s'est-il passé ? Pourquoi ? Pourra-t-on un jour chasser les Allemands ? Ont-ils gagné la guerre ? Quelle attitude à avoir vis-à-vis du régime de Vichy, du maréchal Pétain ? Que faire ?...

    Certains de ces regroupements aboutissent, après des mois de décantation et de recompositions successives, à la constitution de noyaux qui, franchissant encore un palier supplémentaire, sont à l'origine des grands "mouvements" en zone sud : Combat, Franc-Tireur, Libération. La plupart des autres, comme c'est le cas à Grenoble, faute de passer eux-mêmes ces paliers, s'intègrent dans la toile que tissent ces mouvements en constitution, pour devenir leurs antennes locales. Il en est ainsi avec les amis de Marie Reynoard, professeur au lycée Stendhal, à l'origine fin 1941, de l'antenne grenobloise de Combat, comme avec ceux de Marguerite Gonnet, l'épouse du directeur de l'office de tourisme de Grenoble pour l'antenne locale de Libération-Sud. Un autre groupe se constitue autour du docteur Léon Martin. Dreyfusard dans sa jeunesse étudiante, militant de la SFIO et de la Ligue des Droits de l'Homme, l'un des quatre-vingts parlementaires ayant rejeté le 10 juillet 1940 les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, il dispose d'un important capital de relations sociales dans l'agglomération, mais aussi de revenus, de moyens de communication et de loisirs lui permettant de se déplacer facilement, un avantage considérable alors... Comme il l'écrit lui-même après guerre : "Les Républicains, ceux qui veulent vivre dans la liberté, se réunissent pas petits groupes, dans les arrière-boutiques, dans les appartements discrets. Ils vont se rendre visite la nuit et dans la journée, aux heures où la police va prendre ses repas. Ils se rencontrent le 11 novembre au monument aux Morts, au monument des Trois Ordres, à celui des Diables bleus, et aussi les 1er mai, 14 juillet, 22 septembre. Foule peu nombreuse, ce sont toujours les mêmes qui sont là", Aimé Pupin, ancien rugbyman, tenancier du café la Rotonde, rue du Polygone, le cheminot Paul Deshières, le garagiste Eugène Ferrafiat et Eugène Chavant. Sont aussi présents, selon Pupin, Abel Demeure, Marin Dentella, Henri Cocat, le cheminot Jean Veyrat et quelques autres encore...

    Entrée en Résistance

     [Le monument des Diables Bleus, parc Mistral]

    Entrée en Résistance, partie I : qui était Eugène Chavant ?

    [Monument du café de la Rotonde (près de la gare SNCF)]

    La plupart ne sont certes pas, compte tenu des critères de l'époque, des hommes jeunes. L'aîné, Léon Martin, a 67 ans, Paul Deshières, 43 ans, Eugène Chavant, 45 ans, quant au plus jeune, Aimé Pupin, il a 35 ans...

    Si presque tous sont encartés à la SFIO, ils n'ont jamais, en dehors de Léon Martin, exercé des fonctions politiques nationales, ni même départementales. (...) Mais tous ont des carnets d'adresses bien garnis, issus de leurs activités professionnelles et militantes. Ce sont en effet, comme c'est souvent le cas alors, des militants multicartes", membres d'organisations diverses de la nébuleuse socialiste. Pupin milite ainsi à la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT), Ferrafiat à la Libre Pensée dont il était, avant guerre, le trésorier départemental, Chavant à la fédération ouvrière et paysanne des anciens combattants (FOP). Si Léon Martin est connu comme franc-maçon, cela ne semble être le cas ni de Pupin ni de Chavant.

    Nous ne savons rien du contenu de leurs réunions, qui n'ont pas laissé de trace écrite connue, tant à l'automne-hiver 1940 qu'en 1941. Les seules sources sont des témoignages postérieurs à la guerre. Pour Aimé Pupin : "Toute l'année 1941 [...] se passe dans l'attente...Nous écoutons religieusement la radio de Londres. Nous lisons et transmettons des tracts clandestins qui nous parviennent on ne sait d'où. Nous parlons entre amis". Ces petits noyaux de bonne volonté [...] "dans les ténèbres de la révolution Nationale" se réunissent dans l'arrière-salle de la pharmacie du docteur Martin, 125 cours Berriat, dans le café d'Aimé Pupin, ou dans d'autres échoppes.

    (...) Ecouter, parler, transmettre, c'est l'activité de ces fragiles noyaux de 1940-1941, à Grenoble comme ailleurs. Celui du docteur Martin a cependant une particularité, rappelée dans tous les témoignages des protagonistes. Leur objectif initial est de "relancer clandestinement le parti socialiste", comme Eugène Chavant le confie en 1967 à Paul Dreyfus. Cet objectif prend un sens plus concret après la visite en août 1941 de Raymond Gernez, ex-député socialiste du Nord, qui propose au groupe de diffuser Le Populaire clandestin. La rencontre avec Jean-Pierre Lévy, dirigeant lyonnais du mouvement Franc-Tireur, élargit l'activité du groupe à la diffusion du journal éponyme.

    Comme c'est souvent le cas, (...) le mentor initial est une personnalité reconnue...mais très connue des services de police. C'est le cas du docteur Martin, qui ne peut guère aller au-delà de son rôle d'impulsion initiale et d' "homme de contacts". D'une certaine manière, c'est le cas d'Eugène Chavant, connu et reconnu aussi comme ancien élu. L'homme d'action est donc, jusqu'à son arrestation le 28 mai 1943, le cafetier Aimé Pupin. C'est lui qui, inlassablement, tisse la toile des contacts nécessaires aux premiers camps de réfractaires installés à l'hiver 1942-1943 dans le Vercors. Que savons-nous du rôle de Chavant, dans ces temps obscurs ? Peu de choses...

     

    (Source : Eugène Chavant, du "poilu" au chef de maquis - Gilles Vergnon)

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  • Selon toutes les sources, après avoir "lâché" son café de l'Ile-Verte, vendu au printemps 1941, il travaille chez un paysan pour piocher des betteraves, puis chez un bûcheron fournissant du bois aux boulangers de Grenoble. Là encore, il peut s'appuyer sur le réseau de connaissances hérité de la SFIO. Il bûcheronne ainsi pour un ancien militant socialiste grenoblois, Chardonnet, sis rue de la Mutualité...Dans le "groupe Martin", Eugène Chavant joue le rôle de "conseil de révision", convoquant et interrogeant les réfractaires au STO dans l'arrière-boutique de la quincaillerie Bouvier-Chichignoud & Allemand, 18 rue Lesdiguières [cf. plan ci-dessous]. Ceux-ci sont alors aiguillés vers le Vercors, gagnant Villard-de-Lans par les cars Huillier mis à la disposition de la Résistance, et affectés à l'un des camps-refuges qui quadrillent le massif au printemps 1943, de la ferme d'Ambel (exploitée par Victor Huillier et ses associés) jusqu'à Méaudre et Corrençon.

    En revanche, Eugène Chavant ne semble pas avoir de relations avec Pierre Dalloz et sa petite équipe, à l'initiative du "projet Montagnards" qui envisage un rôle stratégique pour le Vercors, au moment d'un débarquement allié en Provence. Dalloz, en relation depuis mars 1943 avec Aimé Pupin et Eugène Samuel, affirme n'avoir appris l'existence de Chavant que beaucoup plus tard, en juillet 1944. Les deux hommes, qui ne se rencontreront qu'après la guerre, entretiendront d'ailleurs des relations difficiles...

    L'ancien maire, devenu précocement un clandestin au moins depuis 1942, voit ses conditions de vie bouleversées. Son épouse, qui habite rue Aristide-Bergès à Saint-Martin d'Hères, le voit rarement. Elle passera la plus grande partie du conflit dans un relatif isolement, vivant des produits d'un terrain acquis à La Croix-du-Pâtre, à Saint-Martin d'Hères village, après la vente du café. (...) Eugène Chavant ne se confie guère à ses proches, pas plus à son épouse qu'à son fils. Si celui-ci accomplit quelques missions de courrier ou d'agent de liaison, ce n'est pas le cas de Lucile Chavant. Pour son époux, comme pour la plupart des hommes de sa génération, la Résistance, "c'est une affaire d'hommes parce que c'est une question de confiance". Comme le rappelle encore son fils, qui admet qu'il était "un peu misogyne", "il pensait que les femmes avaient la langue trop longue et qu'elle fonctionnait trop facilement". Cette première expérience de semi-clandestinité est remise en cause par la série d'arrestations qui démantèle au printemps 1943 le premier "Comité de combat" du Vercors. Tour à tour, Léon Martin (le 24 avril), Aimé Pupin, Simon Samuel, Victor Huillier et quatre autres résistants de Grenoble et de Villard-de-Lans (le 28 mai) sont arrêtés par l'armée italienne, jugés et internés pour la plupart à la forteresse de Cuneo, dans le Piémont. Après quelques semaines de flottement, c'est au capitaine Alain Le Ray qu'il incombe de renouer les fils, avec l'aide d'Eugène Samuel, le seul survivant de l'équipe d'Aimé Pupin, et de l'écrivain Jean Prévost, un proche de Pierre Dalloz. Eugène Chavant, qui a échappé aux arrestations et s'est réfugié un temps au chalet du Club alpin de Chamrousse, n'a plus de liaisons Désireux de sortir de son isolement, il redescend à Grenoble et reparaît à quelques endroits sûrs fréquentés depuis l'avant-guerre, comme la boutique d'articles de sports Perrin, dont il connaît le propriétaire, peut-être sympathisant socialiste, selon son fils. Le magasin, square des Postes (aujourd'hui square Léon-Martin), présente l'avantage, précieux dans la vie clandestine, d'avoir plusieurs sorties, parmi lesquelles le boulevard Agutte-Sembat et la rue Lesdiguières. C'est là que s'établit un premier contact avec Le Ray.

    Entrée en Résistance, partie II : Eugène Chavant devient chef civil du Vercors

    Il débouche sur la cooptation d'Eugène Chavant dans le deuxième "Comité de combat" du Vercors, fin juin 1943. Il comprend deux militaires, le capitaine Le Ray et le lieutenant Roland Costa de Beauregard, et trois civils, Eugène Samuel, Jean Prévost et Eugène Chavant (...). C'est seulement à cette date que Chavant, qui s'installe définitivement dans le Vercors en septembre ou octobre, s'impose au premier plan.

    (...) Son destin est indissociable désormais de l'histoire du Vercors résistant. Il est devenu le "patron", appellation respectueuse et familière qu'utiliseront ses hommes pendant comme après la guerre.

     

    (Source : Eugène Chavant, du "poilu" au chef de maquis - Gilles Vergnon)

     

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